Il est de tradition, dans les Églises historiques, de consacrer le dernier dimanche de l’année liturgique à un regard vers l’avenir, vers ce qu’on appelle souvent « la fin des temps » ou « la fin du monde ». On choisit alors des textes bibliques généralement peu fréquentés qui parlent non seulement de la destruction de Jérusalem, mais en plus de bouleversements et de catastrophes cosmiques comme prélude au jugement dernier. Il me vient alors souvent à l’esprit ce titre d’un film paru il y a exactement 50 ans cette semaine : « À soir on fait peur au monde. »
Et pourtant… J’espère que vous avez bien remarqué le ton positif des paroles de Jésus : « Quand ces événements commenceront à se produire, redressez-vous et relevez la tête, car votre délivrance est proche. » Oui, vous avez bien entendu : « Quand ces événements commenceront à se produire, redressez-vous et relevez la tête, car votre délivrance est proche. »
Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits. |
Le temps qui vient, Jésus ne le compare pas à un hiver rigoureux où tout ce qui vit semble se figer dans la mort; il le compare à l’été palestinien, à la saison tant attendue du bien-être et de l’abondance. Là où les malheurs du monde nous portent au désarroi, Jésus nous invite à entrer plutôt dans l’espérance.
Alors, comment entrer dans l’espérance qui animait Jésus? Comment, surtout, s’y tenir au regard de tant d’incertitude planant sur l’avenir?
Aujourd’hui comme au premier siècle, il y a des invasions militaires, des tremblements de terre, des famines et des épidémies (Luc 21 10-11). Mais il y a aussi d’autres « faits terrifiants » (Luc 21 11) : les effets des changements climatiques, la montée des eaux, par exemple, comme nous venons de le voir à Venise et dont une étude nous révélait récemment qu’elles finiraient par recouvrir toute une partie de notre ville dans quelques décennies. Parmi d’autres « faits terrifiants », il y a encore l’intensification des migrations forcées par les changements climatiques en plus de celles provoquées par la violence militaire ou politique; il y a le lent effritement de la liberté d’expression, à quoi on pourrait ajouter l’affaiblissement de l’esprit de dialogue, l’élargissement du fossé entre les grandes villes et les régions, l’accroissement indécent des écarts entre la rémunération d’une poignée de privilégiés et celle de l’immense majorité des humains, et tant d’autres sources d’inquiétude, voire de déprime et de cynisme.
Comme citoyens, mais aussi comme chrétiens, nous sommes appelés à résister à la tentation de détourner le regard et nous voiler la face. Il faut savoir regarder la réalité telle qu’elle est, aussi menaçante soit-elle. Mais dans le même temps, nous sommes appelés à ne pas perdre confiance en l’avenir. En un mot, à cultiver l’espérance.
Je reprends ma double question : comment entrer dans l’espérance qui animait Jésus? Comment, surtout, s’y tenir au regard de tant d’incertitude planant sur l’avenir?
Nous avons deux motifs de le faire. Nous partageons le premier avec tous les humains, et le second tient à notre foi comme disciples de Jésus.
On peut d’abord se rappeler, avec le philosophe Edgar Morin, que « le probable n’est pas certain et souvent c’est l’inattendu qui advient. » L’histoire humaine, même récente, est pleine d’événements imprévus qui ont modifié subitement et profondément le cours de l’histoire. Le rappel récent de la chute du mur de Berlin illustre parfaitement ce propos, mais on pourrait mentionner les attaques du 11 septembre 2001 ou l’élection du président Trump : ce sont là des faits que même quelques mois avant leur occurrence absolument personne n’avait pu imaginer. Prenons un exemple plus lointain : qui aurait cru que les 14e et 15e siècles en Europe, marqués par la peste, les famines et la Guerre de Cent ans, allaient donner naissance à ce qu’on a appelé, justement, la Renaissance?
Dans les moments sombres de l’histoire où le futur se présence sous un jour menaçant, il nous est difficile, parce que notre vie et donc notre vision sont très courtes, de cultiver l’espérance en l’avenir. C’est pourtant notre grandeur comme être humains que cette capacité que nous avons de pressentir les promesses de l’avenir. C’est cela qu’enseignent à leur manière le proverbe africain selon lequel « l’arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt qui pousse », et le proverbe turc qui dit que « les nuits sont enceintes et nul ne connaît le jour qui naîtra. »
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Le thème de l’ouverture de l’histoire humaine, même quand elle est plongée dans les crises les plus sombres, reçoit un éclairage lumineux dans l’expérience religieuse. Déjà le grand dramaturge grec Euripide faisait dire à un de ses personnages, dans Médée : « Les dieux nous réservent bien des surprises. L’attendu ne s’accomplit pas et à l’inattendu un dieu ouvre la voie. »
Alors que dirons-nous de la tradition biblique? « Assurément, lisons-nous au Livre des Proverbes, il y a un avenir, et ton espérance ne sera pas fauchée (23 18). Pour les juifs et les chrétiens, Dieu est intimement présent au monde et à l’histoire humaine, Immanou-el, comme nous le chanterons à Noël. Et cette présence n’est ni statique, ni froidement indifférente. C’est une présence active. Une présence créatrice, comme nous le confessons dans notre profession de foi : « il crée et continue de créer, il agit en nous et parmi nous par son Esprit… Nous ne sommes pas seuls : Dieu est avec nous »
Pour nous, chrétiens, comme pour les juifs, c’est dans un acte de donner, et de se donner, que Dieu est présent. Et ce n’est jamais la mort, mais toujours la vie qu’il donne. Notre Dieu est encore un Dieu qui parle, et quand il parle, il promet. Et ce qu’il promet, ce n’est jamais la mort, c’est toujours la vie, même au-delà de la mort. Cela va de la première promesse, celle adressée à Abraham (Genèse 12 2-3), à la dernière parole que Jésus adresse à quelqu’un dans l’évangile de Luc : « Aujourd’hui , tu seras avec moi dans le paradis » (23 43), alors que de son côté, c’est sur une autre promesse que s’achève l’évangile de Matthieu : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps » (28 20).
Témoigner de la promesse et en vivre dans la joie et la confiance alors que la tempête approche ou se déchaîne : voilà le service que peuvent rendre à une société inquiète des communautés de foi et d’espérance comme la nôtre. Je suis frappé de ce que dans les huit versets du chapitre 15 de la Lettre aux Romains que nous avons lus tout à l’heure, on trouve deux mentions de la persévérance, deux de la consolation et trois de l’espérance. Notre défi dans notre époque troublée, c’est de nous soutenir les uns les autres dans une véritable sollicitude mutuelle. La communauté chrétienne, même toute petite, peut se démarquer en vivant dans la persévérance plutôt que le découragement, la consolation plutôt que l’abattement, la joie et la paix dans la foi plutôt que l’inquiétude paralysante, et ce, sans jamais se départir de sa lucidité et de son enracinement dans un présent au futur menaçant.
Ne serait-ce pas cela, être sel pour la terre et lumière pour le monde (Matthieu 5 13-16)?
LECTURES BIBLIQUES
Photo : P.-A.G.
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