Celles et ceux qui m’ont entendu en ce sixième dimanche de Pâques se rappelleront que j’ai remanié ma réflexion dominicale pour parler de l’amour de soi. Depuis tôt ce dimanche matin, cette idée me prenait la tête et je me suis laissé convaincre d’en parler. Disons, en bref, que ma vie a été particulièrement marquée par cette quête qu’est l’amour de soi. Si l’on doit aimer les autres comme soi-même alors s’aimer soi-même semble être une bonne place par où commencer. L’Église en parle peu, comme si ça allait de soi… et pourtant ! Pour être juste, il faudrait s’aimer et se regarder comme Dieu nous aime et nous voit. Bref, je nous suggérais ‘de se regarder et de se juger avec compassion et amour’. Après le culte, en discutant avec Darla (Sloan) de ce sujet, nous avons évoqué le fait que parfois quand on n’arrive pas à s’aimer ou qu’on n’y arrive plus, une communauté de foi peut être salvifique. Que lorsque l’on n’arrive plus à être compatissant envers soi-même, le fait de voir l’amour de Dieu pour nous à travers le regard de nos sœurs et frères en Christ, ça peut nous aider à commencer un processus de guérison qui nous conduira vers un amour de soi authentique et réel. Pour finir, je poursuis mes réflexions sur l’amour de soi dans le contexte de la foi et de l’Église et je vous ferai part du résultat.
Actes 10.44-48 et Jean 15.9-17
Les deux textes que nous avons devant nous sont comme la pointe d’un iceberg, deux finales en quelque sorte. Dans le cas de la lecture de l’Évangile de Jean, il s’agit de l’épilogue de ‘la parabole de la vraie vigne’ qui faisait partie des choix de textes du lectionnaire pour le 5e dimanche de Pâques. En ce qui concerne le court extrait du livre des Actes des Apôtres, à mon point de vue, le croustillant se trouve avant et après notre passage. Bien que, notre extrait révèle le point important de ce que veut dire Luc: l‘amour de Dieu est inclusif de tous les êtres humains et pour preuve l’Esprit Saint donné par Dieu descend sur des non-juifs.
Commençons par le texte de Jean.
La ‘parabole de la vraie vigne’ est la dernière des 7 occasions dans l’Évangile de Jean où Jésus utilise une métaphore en ‘Je suis’ pour transmettre un message théologique à ses disciples : ‘Je suis le pain de vie (Jn 6.35-48); Je suis la lumière du monde (Jn 8.12-;9.5), Je suis la porte (Jn 10.7); Je suis le bon berger (Jn 10.11-14); Je suis la résurrection et la vie (Jn 11.25); Je suis le chemin et la vérité et la vie (Jn 14.6); et finalement : Je suis la vraie vigne (Jn 15.1-5). Dans la parabole de la vraie vigne, Jésus s’identifie à la vigne, le plant enraciné dans le sol. Le jardinier à qui incombe ‘la job’ de tailler, d’élaguer et de couper des branches appartient à Dieu, le Père. Les disciples, ceux du premier siècle comme ceux d’aujourd’hui, sont les branches. Les images sont hyper claires, c’est uniquement la responsabilité du vigneron de tailler les branches, de s’assurer que chaque branche a tout ce dont elle a besoin pour produire des fruits de façon optimale. Il incombe à Dieu de couper les branches qui sont sans vie ou qui ne produisent aucun fruit. Ce n’est pas une responsabilité qui revient à l’une ou à l’autre des branches. Nulle part dans ce texte ne pouvons-nous lire qu’il y a une licence, une permission, une allusion qui pourrait donner l’idée que les branches peuvent, pourraient ou devraient ‘inclure ou exclure’ d’autres branches. En lisant l’histoire de nos églises Chrétiennes, trop souvent les branches se sont prises pour le vigneron ou pour la vigne. En de nombreuses occasions, cette parabole a été interprétée comme une invitation à faire du mal ou à opprimer sous couvert de « couper une branche improductive ».
Jean 15.9-17 nous parle des fruits que Dieu veut que nous portions en abondance. Les fruits, à mon sens, sont les relations que les disciples ont avec Dieu, avec Jésus et entre eux. Des relations vécues dans l’amour. Jésus dans les évangiles nous dit que l’on approche du royaume de Dieu quand on aime Dieu et son prochain comme soi-même. Les mots changent ici un peu : « aimez-vous les uns les autres comme je vous aime (v.12) ». Cela peut sembler, dans ce contexte, être un amour qui est circulaire et qui ne se vit qu’à l’intérieur de cette communauté. Il est vrai que cette communauté a des soucis avec ses relations avec la communauté juive dont elle est issue. Elle a des problèmes avec les relations qu’elle entretient avec la communauté non-juive avec laquelle elle interagit même si elle le fait parcimonieusement. Le ‘Jésus’ de Jean doit rassurer cette communauté et lui dire que c’est lui qui les a choisis et envoyés en mission et que Dieu est à l’écoute de leurs demandes et les exaucera. Le passage se termine avec un commandement, un appel à la solidarité et à l’union : « s’aimer les uns les autres » (v.17). Je pense que ce que Jésus dit pour rassurer la communauté johannique peut s’étendre et s’adresser à nous, disciples d’aujourd’hui. Je crois qu l’on peut aussi comprendre ce commandement comme ouverture à aimer tous ceux qui sont ‘autres’. Cet amour dont parle Jésus est valable pour les disciples de tous les temps.
Quand l’Évangile de Jean s’écrit, vers la fin du 1er siècle selon les meilleurs dateurs, le christianisme n’existait pas et il n’existera pas avant une centaine d’années. Les disciples de Jésus du premier siècle avaient le judaïsme comme foi mère. On sait également, grâce à d’autres histoires du livre des Actes, que l’inclusion des non-juifs, des non-circoncis, a été problématique. Les règles de pureté et d’impureté appliquées scrupuleusement par la vaste majorité des juifs pratiquants favorisaient l’exclusion de tout ce qui n’était pas juif et de tout ce qui n’était pas casher. L’histoire de Pierre et Corneille nous parle de cette intégration des non-juifs par les premiers ‘juifs-disciples de Jésus’. OUF ! L’Esprit Saint travaille fort.
Actes 10.44-48
J’écrivais ci-devant que le croustillant se trouvait avant et après notre texte, mais avant d’en parler davantage résumons un peu l’histoire de Pierre et Corneille.
Corneille, un centurion Romain de Césarée, a une vision (le texte nous dit qu’il est favorable aux juifs et qu’il est un « craignant Dieu, c’est-à-dire, un non-juif convertit au judaïsme sans être circoncis » (TOB p.391, note i). Un ange l’invite à faire venir Pierre chez lui. Corneille envoie des messagers pour aller chercher Pierre à Joppé. Pendant ce temps, Pierre aussi a une vision. Il a faim et dans une extase il voit toutes sortes de viandes qu’un bon juif ne peut pas manger. Une voix lui dit « Allez, Pierre ! Tue et mange. » Ac 10.13. Pierre refuse, il n’a jamais transgressé les lois concernant la nourriture; il n’a jamais mangé rien d’immonde ou d’impur. La voix lui dit pourtant « Ce que Dieu a rendu pur, toi, ne vas pas le déclarer immonde » (Ac 10.15) et cela recommence 3 fois. Pierre se demande à quoi ça rime.
Toujours en est-il que les hommes de Corneille arrivent et demandent à Pierre de venir avec eux à Césarée. Pierre ne se lance pas en route. Ça prend une intervention de l’Esprit Saint qui lui dit de les suivre tout de suite. Finalement, Pierre les suit.
Corneille pendant ce temps ne perd pas une minute et invite sa parenté et ses amis intimes à venir chez lui pour que tout un chacun puisse rencontrer le Simon-Pierre qu’il a envoyé chercher à Joppé. Pierre arrive (avec un groupe de juifs, des circoncis, nous dit le texte), Corneille tombe à genoux devant Pierre, Pierre le relève, s’aperçoit qu’il y a une assistance nombreuse et il dit :
«28 Vous savez qu’un Juif n’est pas autorisé par sa religion à fréquenter un étranger ou à entrer dans sa maison. Mais Dieu m’a montré que je ne devais considérer personne comme impur ou indigne d’être fréquenté. 29C’est pourquoi, quand vous m’avez appelé, je suis venu sans faire d’objection. J’aimerais donc savoir pourquoi vous m’avez fait venir.» Ac10.28-29
Je vous lis ce passage parce que Pierre dit qu’il ‘est venu sans faire d’objections’ – ‘heu’– 3 visions, une intervention directe de l’Esprit Saint – moi je trouve que quand même Pierre ne s’est pas ‘garoché’ vers chez Corneille ‘sans objections’ !
Toujours est-il que pendant le discours de Pierre, l’Esprit Saint descend sur les personnes assemblées. J’aime ça que l’Esprit Saint interrompe Pierre… Ça lui donne un air rebelle – « bon ça suffit le discours, ‘enwoye’ on passe à l’action ». Ça donne aussi un sentiment que ça presse. Revenons à nos moutons. Imaginez la surprise des juifs qui accompagnaient Pierre. Devant cette situation, Pierre est comme devant le fait accompli et donne l’ordre que l’on baptise tout le monde présent. Au début du texte, on parle de la foi de Corneille qui est grande aux yeux du Seigneur, mais je ne m’imagine pas que tout le monde dans la maison de Corneille était tous à la même place spirituellement ou au niveau de la foi. L’Esprit Saint descend sur tous. Dans le texte, il n’y a aucune impression que l’Esprit Saint catégorise les gens rassemblés. Genre Corneille toi OK, tu as ce qu’il faut. Ton neveu, lui, non, y’a pas assez la foi. Ton ami, oui, lui c’est bon : y’a juste ce qu’il faut de foi. Le texte m’inspire plutôt que l’Esprit descend sur chacun chacune et les prend là où ils sont rendus et le cheminement dans la foi commence à ce moment-là. À travers cette histoire, l’Esprit enseigne à Pierre de ne pas juger des personnes – il fait réaliser à Pierre qu’il n’est qu’une branche, pas la vigne, ni le vigneron et que l’amour de Dieu éclipse les règles et les conventions.
Je pense qu’il faut souligner à grands traits que dans l’histoire de Pierre et Corneille, c’est l’Esprit Saint le personnage principal. Celui qui déploie des efforts formidables pour faciliter des rencontres improbables. L’Esprit Saint travaille fort pour assurer l’inclusion de personnes culturellement différentes et de personnes venant d’horizons spirituels très différents.
La bonne nouvelle que nous livre ces textes, est que Dieu est amour, et que son amour est inclusif de toutes et de tous. La vie finalement est pas mal moins compliquée quand notre préoccupation principale est de s’aimer les uns les autres et laisser les jugements à Dieu ! Quand nous demeurons dans l’amour de Jésus, nous sommes libérés de tout ce qui, dans ce monde, fait obstacle à notre relation avec Dieu et on peut se concentrer à répandre cet amour aux personnes qui nous entoure. Nous sommes appelés par Dieu à vivre une vie abondante, une vie bonne ! Pour nous engager dans cette entreprise, nous devons être authentiques et non seulement nous accepter, mais aussi embrasser les autres et nous-mêmes pour ce que nous sommes et ce qu’ils sont !
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