En ce jour de la Toussaint, rendons grâce à Dieu pour Loïs, Eunice et cie, tous les fidèles – peu ou pas connus du grand public – mais qui, par l’exemple de leur vie, ont façonné la foi des gens autour d’eux. Loïs et Eunice ne sont mentionnées qu’une seule fois dans les Écritures. On sait seulement qu’elles ont été des femmes de foi et qu’elles ont transmis la flamme de cette foi sincère à Timothée, l’un des proches collaborateurs de Paul. La foi, c’est une affaire de famille… et c’est vrai qu’elle est souvent transmise de mère et de grand-mère en fils et fille. C’est comme ça dans le judaïsme, par exemple. On devient juif par sa mère.
Avant d’être pasteure, j’étais linguiste. En linguistique, on parle de langue maternelle et de langue seconde. En spiritualité, de manière analogue, on pourrait effectivement parler de foi maternelle. L’analogie n’est pas parfaite mais évocatrice, me semble-t-il. Notre langue maternelle… la première langue apprise et encore comprise… nous la recevons, comme un héritage familial. Je parle bien l’anglais… je n’en ai aucun mérite. Je suis tombée dedans comme Obélix dans la potion magique. En ce qui concerne ma foi chrétienne, c’est un peu la même chose. C’est un don que j’ai reçu. Si j’étais née ailleurs, ma confiance en Dieu aurait certainement pris d’autres accents… juif, musulman ou autre.
Mais ce n’est pas parce qu’on a quelque chose par don qu’on n’a pas d’effort à fournir pour savoir comment l’utiliser à bon escient ou pour le transmettre aux générations futures. On a beau acquérir une langue maternelle, pour la perfectionner afin de bien s’en servir, il faut apprendre la grammaire, se faire corriger, apprendre à soigner et à préserver sa langue, n’est-ce pas ? Certes, il faut savoir innover, intégrer de nouveaux mots de nouvelles tournures de phrase, pour nommer de nouvelles réalités… Mais si on veut communiquer avec d’autres, il faut quand même respecter certaines conventions, une grammaire, une tradition, si vous voulez.
Il en va de même pour la foi. La foi, c’est un don de Dieu. Mais pour la développer, afin qu’elle donne un sens à notre vie, nous avons besoin d’autres fidèles… comme Loïs et Eunice. Pour mettre des mots sur notre expérience de foi, pour communiquer avec d’autres, nous avons besoin que d’autres nous apprennent certaines conventions, une tradition, une grammaire, si vous voulez.
Prenons Paul, par exemple (Voir Actes 9). Il était un juif pratiquant, fervent… Aujourd’hui, on dirait peut-être qu’il était radicalisé. Un jour, alors qu’il est en route pour Damas dans le but d’y arrêter des chrétiens, Paul vit expérience spirituelle renversante… au sens propre comme au sens figuré. En un éclair, il devient chrétien à son tour. Mais pour parler de son expérience spirituelle, pour partager sa foi avec d’autres, il fait constamment référence à la tradition juive, sa foi maternelle. Dans l’extrait de la lettre à Timothée de ce matin, il est écrit : « Je suis plein de reconnaissance envers Dieu, que je sers à la suite de mes ancêtres. » (v. 3) Paul ne rompt pas avec la tradition. Il reconnait la valeur de sa foi maternelle, la richesse de tout l’héritage qu’il a reçu comme un don de Dieu.
Cela m’amène à l’une des critiques que j’ai à l’égard de l’Église Unie, mon Église maternelle. Il y a plein de choses que j’apprécie de l’Église Unie, notamment le fait que les femmes peuvent devenir pasteure… pour ne nommer que celle-là. Mais j’ai parfois l’impression qu’elle oublie que l’Église n’est pas née en 1925. L’Église Unie se tient dans la grande tradition chrétienne. Et ce n’est pas parce que quelque chose est vieux que ce n’est plus bon, n’est-ce pas ? Et si la langue est porteuse de l’identité… comme le français est porteur de l’identité québécoise… j’ai parfois peur qu’un jour, l’Église Unie perde sa langue maternelle et, par le fait même, son identité chrétienne. Je vais donner un seul exemple qui est, me semble-t-il, pertinent dans le contexte actuel. Le mot « lamentation ». Il y a quelque temps, j’ai écrit une prière pour le Jour de la Terre que j’ai intitulée « Lamentation pour la Terre ». Et quelqu’un m’a suggéré de choisir un mot autre que lamentation. Mais mon choix était délibéré. Car dans la langue chrétienne, se lamenter ne signifie pas simplement se plaindre bruyamment et de façon prolongée. Ultimement, se lamenter, c’est se confier en Dieu. C’est nommer haut et fort son malheur, sa douleur, son ennui, confiant que Dieu entend et répond, que Dieu se fait proche de tous ceux et celles qui l’appellent, que Dieu est avec nous dans nos jours de peine comme dans nos jours de joie.
N’est-ce pas un message important pour notre temps, en ce monde où tant de gens vivent dans l’anxiété et la peur ? N’y a-t-il pas des richesses dans notre héritage de foi qui donneraient force et courage à nos contemporains ?
Avec Loïs, Eunice et compagnie, nous sommes toutes et tous des saints pour notre temps. Dieu seul est saint… mais nous sommes enfants de Dieu et donc héritiers de ses promesses. Et comme l’extrait de la lettre à Timothée de ce matin nous le rappelle, cette promesse, c’est la vie… la vie toujours nouvelle. La vie qui est plus forte que tout, même mort. La vie qui surgit au plein milieu des déserts de nos existences et même de nos tombeaux.
Cette promesse, c’est notre héritage. Nous le recevons par grâce. Ce que nous en faisons, cela nous appartient, par exemple ! Ce matin, nous entendons Paul exhorter Timothée à raviver le don qu’est sa foi. Comme des braises qu’on attise pour rallumer un feu, il faut garder notre foi vivante et vivifiante. Il faut la transmettre à d’autres.
Ce don de Dieu dont nous avons hérité, ce n’est pas un Esprit de peur, encore moins un esprit qui sème la peur. C’est un esprit de force… pas dans le sens d’une force de coercition, ou d’assimilation, mais plutôt une force dans le sens de « courage face aux défis et à l’adversité ».
Vous rendez-vous compte ? Dieu nous a fait don, à nous les saintes et les saints de notre temps, d’un Esprit qui peut transformer le monde… et qui transforme effectivement le monde… petit à petit… souvent une vie à la fois. Il y a eu Paul, il y a eu Loïs, Eunice, Timothée. Il y a nous.
Au cours des derniers jours, j’ai eu plusieurs conversations au cours desquelles on se posait la question de la transmission de la foi. J’ai l’impression qu’on prend de plus en plus conscience que notre foi chrétienne aurait une parole particulière dans le monde d’aujourd’hui, une parole qui mettrait des mots sur nos expériences afin de donner un sens à ce que l’on vit – une façon de comprendre ses expériences et de s’orienter dans un monde où on peut si souvent avoir l’impression de perdre tous ses repères. Comment transmettre, partager notre foi de façon crédible et recevable… surtout avec les plus jeunes générations… et surtout quand le contexte mondial se prête si bien au découragement, à l’anxiété et à toutes sortes de délires… religieux et autres ? Hier, avec des gens de l’Église de Sainte-Adèle, on se disait qu’une invitation à « venir à l’Église » serait peut-être moins recevable aujourd’hui, mais que certains seraient peut-être plus ouverts à entendre parler de ce qui nous donne de l’espoir dans le contexte actuel, de ce qui nous fait vivre. Certains seraient peut-être prêts à nous entendre parler d’une présence qui nous accompagne même dans la solitude ; de gens qui sont notre famille même quand notre famille est au loin ; et peut-être même de notre confiance envers et contre tout, même face à la mort qui semble nous guetter partout.
Nos contemporains, nos enfants, nos petits enfants ont besoin des saints et des saintes d’aujourd’hui pour les aider à raviver l’Esprit de force, d’amour et de maîtrise de soi qui est en eux… par la grâce de Dieu. N’ayons donc pas honte de témoigner de notre foi. Soyons des saints et des saintes comme Loïs, Eunice et compagnie, pour la gloire de Dieu et le salut du monde. Amen.
LECTURES BIBLIQUES
Un commentaire