Marie, la prophétesse enceinte de Jésus

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Noël dans trois jours! Nous y sommes presque! Qu’en est-il vraiment de ce qu’on est censé fêter en ce jour de fête? Le mot Noël vient du latin natalis (dies), « jour de naissance », qui par contraction a donné nael, puis Noël. Ce n’est pas le Père Noël, ce voyageur de commerce bien connu, qui le dit. C’est le très sérieux dictionnaire Robert, à la page 1491 de mon édition de 1993 : « Fête que les chrétiens célèbrent le 25 décembre, en commémoration de la naissance du Christ ». Avant une naissance, il y a, c’est bien connu, une grossesse. « Né d’une femme », écrira plus tard l’apôtre Paul à propos de l’entrée de Jésus de Nazareth reçu dans notre monde (Ga 4, 4).

Avant une naissance, il y a, c’est bien connu, une grossesse. L’évangéliste Luc nous raconte que Marie, la femme enceinte de l’enfant à naître, rend visite à sa cousine Élisabeth, elle aussi enceinte. À peine Marie est-elle entrée chez Élisabeth et l’a-t-elle saluée que celle-ci sent l’enfant qu’elle porte, le futur Baptiste, bouger en elle. Elle pousse un grand cri et dit les paroles inspirées que nous venons d’entendre. Animée par le même souffle, Marie lui répond en des termes qui contrastent, c’est le moins qu’on puisse dire, avec l’image dont j’ai hérité d’elle dans mon enfance et ma jeunesse.

En effet, Luc ne présente pas la femme qui porte Jésus dans son ventre comme la jeune femme dévote, naïve et « fleur bleue » que la suite d’un certain christianisme va enfermer dans des statues en plâtre aux couleurs pastel. Dans sa visite à Élisabeth, elle affirme que sa compréhension du projet de Dieu pour l’humanité, ce que son fils à naître appellera « le Royaume de Dieu », est celui des grands prophètes de sa religion juive. Elle affirme que la bonté de Dieu « s’étend de génération en génération sur ceux qui le craignent. Il est intervenu de toute la force de son bras; il a dispersé les hommes à la pensée orgueilleuse; il a jeté les puissants à bas de leur trône et il a élevé les humbles; les affamés, il les a comblés de biens et les riches, il les a renvoyés les mains vides. » (Lc 1, 50-53). Jésus est annoncé par Luc comme ayant de qui tenir dans son adhésion au courant prophétique du judaïsme!

Ce courant a été exprimé de siècle en siècle non seulement par des hommes reconnus comme tels, mais encore par des femmes sans le titre, comme cette Anne, mère du prophète Samuel. Dans son cantique de reconnaissance pour la naissance de son fils, elle chante le Seigneur comme celui qui « relève le faible de la poussière et tire le pauvre du tas d’ordures pour les faire asseoir avec les princes et leur attribuer la place d’honneur…Ce n’est point par la force qu’on triomphe, ajoute-t-elle. » (1 S 2, 8-9). Marie, elle, sous la plume de Luc, annonce la portée sociale de la seigneurie à venir de Jésus, avant même que le texte ne le fasse émerger de son sein. Tous les évangiles, en particulier ceux de Marc, Matthieu et Luc, rendent compte de l’accomplissement en Jésus du courant prophétique biblique, libérateur pour les pauvres, les opprimés et les souffrants. Pour sa part, l’Évangile de Luc fait débuter le ministère public de Jésus par une citation d’Ésaïe sous le signe de cette empreinte libératrice : « L’Esprit du Seigneur est sur moi…Il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté… » (Lc 4, 18). Et c’est bien dans la foulée de cette inspiration libératrice que Jésus a dispensé son enseignement et a donné sa vie, pour que tous les humains l’aient en abondance (Jn 10, 10).

Dès les premières décennies de l’Église naissante, c’est la fidélité à ce filon prophétique que la lettre de Jacques défend à sa manière : « …si au pauvre vous dites : ‘Toi, tiens-toi debout’ ou ‘Assieds-toi là-bas au pied de mon escabeau’, n’avez-vous pas fait en vous-mêmes une discrimination?… N’est-ce pas Dieu qui a choisi ceux qui sont pauvres aux yeux du monde pour les rendre riches en foi et héritiers du Royaume qu’il a promis à ceux qui l’aiment? » (Jc 2, 3-5).

Où en sommes-nous aujourd’hui par rapport à cette option préférentielle issue du courant prophétique du judaïsme, à laquelle Marie enceinte fait écho lors de sa visite à Élisabeth et pour laquelle l’enfant à naître, Jésus, donnera sa vie? Un élément de réponse qui nous vient de nos voisins du sud nous donne à réfléchir. Dans une chronique d’avant les élections américaines sur Présence-information religieuse, le catholique Louis Cornellier rapportait, à partir de données de sondages, que la majorité des chrétiens américains s’apprêtaient à voter pour Donald Trump. « L’homme est une brute, ajoutait-il, vénère l’argent, méprise les perdants de la course financière, bafoue les femmes et attise la violence. Il est donc tout le contraire de ce qu’incarne Jésus. Malgré tout, une majorité de chrétiens votera pour lui. On a le goût de devenir athée quand on apprend que les Américains qui le sont disent, à 85%, vouloir voter pour Kamala Harris. »1 Une photo datant du 17 octobre accompagne l’article. On y voit côte à côte le candidat Trump et le cardinal archevêque de New York en soutane et croix pectorale bien en vue. On connaît maintenant le résultat de l’élection.

Pour ma part, ça ne me donne pas malgré tout « le goût de devenir athée », de le redevenir en fait. Cela me pose plutôt, cela nous pose plutôt, si nous prétendons porter honnêtement le titre de chrétiens et chrétiennes, le défi de nous remettre constamment en contact avec l’inspiration éthique, l’Esprit saint, à la source du mouvement inauguré en Jésus de Nazareth. Dans les mots d’un sociologue des mouvements sociaux, « les idéaux profonds, l’espérance ensevelie au coeur de l’institution sont les mêmes qu’à l’étape de la naissance du mouvement ».2 En d’autres mots, il nous revient de renouer constamment en pensée et en action avec le message originel et essentiel, que les Églises-institutions véhiculent jusqu’à nous, mais enterré sous des couches superposées de surcharges doctrinales, disciplinaires et organisationnelles, sans parler des turpitudes d’hier et d’aujourd’hui. Dans les mots d’une philosophe juive du XXe siècle , « c’est toujours dans la ‘lettre morte’ que ‘l’esprit vivant’ doit survivre, dans une mort dont on ne peut le sauver que si la lettre rentre en contact avec une vie qui veut la ressusciter… »3

Dès l’étape de la gestation d’un enfant à naître, celui qui sera Jésus le Christ, dans la continuité du filon prophétique du judaïsme, l’évangéliste Luc nous donne à entendre la parole inspirée d’une prophétesse gestante nommée Marie de Nazareth de qui naîtra Jésus : « …le Puissant a fait pour moi de grandes choses… Il est intervenu de toute la force de son bras; il a dispersé les hommes à la pensée orgueilleuse; il a jeté les puissants à bas de leurs trônes et il a élevé les humbles; les affamés, il les a comblés de biens et les riches, il les a renvoyés les mains vides. » (Lc 1, 49-54). Et Luc ajoute : « Marie demeura avec Élisabeth environ trois mois, puis elle retourna chez elle. » (Lc 1, 56). Plus loin, il précise qu’au jour de la naissance de Jésus, notre Noël, Marie « retenait tous ces événements en en cherchant le sens. » (Lc 2, 19). Au terme des quatre semaines d’Avent que nous clôturons aujourd’hui, ne manquons pas non plus de continuer à en chercher le sens, pour agir en conséquence, dans les circonstances de vie qui sont les nôtres. Amen.

LECTURES BIBLIQUES

1 Samuel 2, 1a et 6-9

Jacques 2, 1-5

Luc 1, 39-56

1 Louis Cornellier, « Jésus n’aurait pas voté pour Trump », Présence-information religieuse, consulté le 4 novembre 2024 sur https://presence-info.ca/article/idees/chronique-littéraire/jesus-naurait…

2 Francesco Alberoni, Genesi, Milan, Garzanti, 1989, p. 202 (je traduis et mets en italique).

3 Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, Paris,Calmann-Lévy, 1983 [1958], p. 238-239.

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