Curieuse réaction des participants au culte de la synagogue, ne trouvez-vous pas? Ils sont d’abord heureux de recevoir un p’tit gars de chez eux devenu une célébrité; on lui a fait l’honneur de lire le texte biblique d’Ésaïe entendu la semaine dernière. Tous lui rendaient témoignage ; ils s’étonnaient du message de la grâce qui sortait de sa bouche.
Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits. |
Puis Jésus bouscule leurs attentes, vient tout gâcher : en déclarant qu’il n’est pas d’abord un faiseur de prodiges, un magicien, il exerce en fait son rôle essentiel : celui d’éveilleur des cœurs et des consciences, qui dévoile l’intention divine fondamentale.
Qu’est-ce qui les met en « pif » à l’égard de Jésus, au point de le jeter hors de la ville pour vouloir le précipiter en bas d’un escarpement ? Ne serait-ce pas que l’expérience religieuse authentique, donc essentiellement spirituelle, n’a pas de chouchou, ne fait pas de copinage, ni de favoritisme : grosse déception pour qui pensait avoir une longueur d’avance sur tout le monde. Encore pire lorsqu’on se fait mettre le nez devant une telle imposture par un p’tit cul, le fils de Joseph, qu’on a vu grandir et qui n’avait rien d’extraordinaire. Quelle ingratitude, quelle prétention, quelle folie ! Aucun prophète ne trouve accueil dans sa patrie.
Jésus, Dieu sauve selon la signification de son nom, est de la lignée spirituelle authentique, de la famille de Dieu, il n’est pas là pour se guérir lui-même (ou seulement ceux de sa patrie, de son groupe ethnique, géographique ou religieux). Permettez-moi d’évoquer l’appellation d’une ONG bien connue, pour affirmer que Jésus est véritablement, « Médecin sans frontières » dont la sollicitude exprime celle de Dieu même, d’une portée donc sans limites. L’hostilité des auditeurs de la synagogue devient l’illustration, l’archétype de l’autosuffisance et l’orgueil religieux qui n’est en fait qu’une recherche de soi, de sa propre justice, contrôler le divin, posséder Dieu. Une réaction prévisible du point de vue de Jésus dont la religion, sous ce rapport, est quasi une forme d’athéisme! Mais lui, passant au milieu d’eux, alla son chemin.
Sur ce thème, voici un commentaire d’Augustin, théologien et pasteur du 5e siècle, qui demeure à mon avis limpide et toujours pertinent. Il y a des hommes forts…qui mettent leur confiance dans leur propre justice. Ils prétendent, en effet, être justes par eux-mêmes, et se considérant comme des gens bien portants, ils ont refusé le remède et ont mis à mort le médecin lui-même. Ce sont ces hommes forts qui se sont jetés sur le Christ en se vantant de leur justice… Ils s’étaient mis au-dessus de la foule des faibles qui accouraient vers le médecin. Pourquoi ? Simplement parce qu’ils se croyaient forts… Ils ont tué le médecin de tous les hommes. Mais lui, dans sa mort, a préparé pour tous les malades un remède avec son sang.*
Tant que la religion, la spiritualité, voire l’engagement humanitaire, sont auto-référents, insidieusement ils nous cloisonnent en nous-mêmes, et nous empêchent de faire l’expérience de l’amour agapè, à la manière de Jésus et selon le dessin de Dieu, cet amour qui ne disparaît jamais et qui illumine nos chemins et anime toutes nos relations.
Ah, vous les forts qui n’avez pas besoin de médecin ! Votre force ne vient pas de la santé mais de la folie… pour citer à nouveau Augustin dont la voix exprimera l’exhortation ultime de cette médiation bien mieux que je ne saurais le faire. Le Maître de l’humilité, qui a partagé notre faiblesse et nous a rendus participants de sa divinité, est descendu du ciel pour nous montrer le chemin et être lui-même notre chemin. Surtout il a bien voulu nous laisser l’exemple de son humilité…afin de nous apprendre à confesser nos péchés, à devenir humbles pour devenir forts et à faire nôtre cette parole de l’apôtre Paul : « Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2Co 12,10)* .
Gloire soit au Médecin sans frontières. Amen.
Denis Fortin, pasteur
Église Unie Saint-Pierre – 31 janvier 2016
* Commentaire du jour 16 janvier 2016 dans L’Évangile du jour
Saint Augustin (354-430), évêque d’Hippone (Afrique du Nord) et docteur de l’Église
Les Discours sur les psaumes, Ps 58, 1,7 ; CCL 39, 733-734 (trad. cf Delhougne, Les Pères commentent, p.106)
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