Comme le prophète Jérémie avant lui, Jésus n’a pas dévié de sa trajectoire.
Durant toute cette année 2017, nous avons lu au culte, page après page, l’évangile de Matthieu. Il y a quatre semaines, le rideau s’est levé sur le dernier acte de cet évangile, un acte sombre, intense, qui va culminer avec une scène dramatique où toute la terre sera plongée dans l’obscurité1, où un condamné à mort lancera un immense cri de détresse et mourra sur une croix, et où le voile du temple de Jérusalem se déchirera du haut en bas2.
Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits. |
De manière extrêmement habile, Matthieu consacre trois chapitres à une succession de scènes qui font monter la tension, depuis la scène initiale de ce dernier acte où Jésus arrive à Jérusalem acclamé par la foule. C’est lui qui ouvre les hostilités en chassant les vendeurs du temple3 et qui poursuit en comparant Jérusalem à un figuier stérile4, en racontant des histoires comme celle de deux fils dont l’un n’est obéissant qu’en apparence5, cette autre où des ouvriers se révoltent contre leur maître6, cette autre encore où des invités font injure à un roi en boudant l’invitation aux noces de son fils7. Tout cela provoque une longue série de vives discussions avec tout ce qui fait autorité dans cette ville : successivement les grands prêtres et les anciens du peuple8, les grands prêtres et les pharisiens9, les disciples des pharisiens, les hérodiens10, les sadducéens11. Matthieu insère ensuite une longue diatribe dont le refrain, repris sept fois, est « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites »12, avec des ajouts occasionnels : « Insensés! Aveugles!13. Guides aveugles! Sépulcres blanchis! Dignes fils de ceux qui ont assassiné les prophètes! Serpents! Race de vipères! »14.
Il est important de brosser ce tableau d’ensemble si on veut bien entrer dans la compréhension de la scène sur laquelle nous nous arrêtons aujourd’hui. Et des mots qui l’introduisent : « Les Pharisiens allèrent tenir conseil afin de le prendre au piège en le faisant parler » (22 15).
C’est fou tout ce qu’on a pu construire sur la parole qui clôt le débat : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » Sur cette parole de Jésus, on a cherché à fonder la séparation du spirituel et du temporel. On a cherché à justifier l’existence de deux domaines étanches l’un par rapport à l’autre : celui du politique et celui du religieux.
Revenons au texte et serrons-le de plus près. Rappelons-nous d’abord que comme nous venons de le voir, nous ne sommes pas du tout dans un contexte où Jésus donne sereinement un enseignement ou des consignes à ses disciples sur leur manière de vivre en société. La question posée à Jésus n’est pas une vraie question. Elle est là, nous dit le texte, « pour tendre un piège à Jésus en le faisant parler » (v.15). Dans ce jeu du chat et de la souris, Jésus saisit parfaitement ce piège, et sa réponse, très habile, va être une esquive. Non, il ne se laissera pas piéger. Et c’est de manière très subtile que Jésus va clouer le bec à ses adversaires et faire échouer leur plan, comme l’indique la conclusion du récit : « À ces mots, ils furent tout étonnés et, le laissant, ils s’en allèrent » (v.22).
Dans la question piège des pharisiens, il ne s’agissait pas de savoir s’il était légitime ou non de contribuer au trésor de l’État comme nous le faisons en payant l’impôt sur le revenu ou les taxes de vente. Il s’agissait de savoir si était permis de verser ce qu’exigeait l’occupant romain. C’est comme si entre 1942 et 1944, on avait demandé à un Français s’il était permis de verser un tribut à Hitler ou, aujourd’hui, à un Palestinien s’il était légitime de verser un tribut au gouvernement israélien.
Alors il y avait trois camps. Celui des réalistes, d’abord, représenté par les pharisiens, pour qui l’occupation romaine était un fléau dont il fallait s’accommoder et qui se réfugiaient dans la préservation méticuleuse de l’héritage national et religieux. Il y avait ensuite le camp des opportunistes, les hérodiens, les partisans d’Hérode, cet homme que les Romains avaient placé sur le trône de la Galilée : eux soutenaient activement les modalités de la soumission. Et il y avait enfin le camp des résistants, les zélotes, qui s’opposaient absolument à la puissance occupante et qui refusaient toute forme de collaboration, à commencer par ce tribut qu’on imposait aux Juifs.
La réponse de Jésus est, je l’ai dit, très subtile, et la grande majorité des traductions ne rendent pas compte de cette subtilité. Si on traduit le texte grec de manière rigoureuse, les pharisiens demandent : « Est-il permis, oui ou non, de donner le tribut à César? » La réponse de Jésus est : « Redonnez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ».
Donner, redonner. Pourquoi ferait-on don de quelque chose à un dictateur ou à une puissance occupante? Et qu’est-ce qu’on aurait à lui redonner? Qu’est-ce que César a donné au peuple juif? Rien, sinon de l’humiliation continuelle et de la sujétion. Alors, qu’est-ce qu’on a à lui redonner, à lui rendre? Mais qu’est-ce que Dieu a donné au peuple juif? Tout : « l’adoption, la gloire, les alliances, la loi, le culte, les promesses, les pères »15. À Dieu, on a tout à redonner.
En esquivant la question piège, en refusant d’aller sur un chemin où il n’a jamais voulu se laisser entraîner, Jésus se tient sur le seul plan qui l’intéresse : celui de Dieu. Les récits de la tentation au désert nous montrent comment il avait fait des choix, incluant le refus d’emprunter la voie politique, la voie du pouvoir, pour réaliser ce qui lui apparaissait comme sa mission : rechercher la justice et résister au mal. Parvenu aux derniers jours de sa vie, alors que la pression s’accentue sur lui et que l’étau se resserre, il demeure fidèle. Il élève le débat.
Comme le prophète Jérémie avant lui, Jésus n’a pas dévié de sa trajectoire. Sa manière de vivre nous enseigne les chemins de Dieu en toute vérité, comme ses adversaires le reconnaissaient, même si c’est de façon mielleure et doucereuse : « Tu es franc et tu enseignes les chemins de Dieu en toute vérité, sans te laisser influencer par qui que ce soit, car tu ne tiens pas compte de la condition des gens » (v.16). Et ce n’est pas à la dernière minute, sous la menace imminente, qu’il va se dérober.
Ce qui a toujours intéressé Jésus, la seule chose qui soit importante pour lui, la seule chose qu’il veut qui soit importante pour nous, ses disciples, c’est que l’on rende à Dieu ce qui est à Dieu, c’est-à-dire tout, puisque nous devons tout à Dieu. C’est ce qu’il appelle le Règne de Dieu.
Nous pouvons retirer deux choses de cette réflexion. D’abord un appel à demeurer rigoureusement fidèles au meilleur de nous-mêmes, à nos convictions et nos idéaux, quel que soit le prix à payer. Car les tentations sont nombreuses, nous ne le savons que trop, de faire des compromis sur nos valeurs et nos aspirations les plus profondes.
Et puis, un appel à reconnaître la primauté absolue de Dieu dans notre vie, personnelle, mais aussi collective. Il y avait une inscription et une image sur la pièce de monnaie romaine avec laquelle on s’acquittait du tribut à l’empereur. O.K., dit Jésus, redonnez-la lui. Mais n’oublions pas que nous, nous sommes à l’image, à l’effigie de Dieu. Redonnons à Dieu ce qui vient de lui, c’est-à-dire toute notre vie, comme Jésus l’a fait lui-même courageusement aux derniers jours de son existence.
Par Paul-André Giguère
LECTURES BIBLIQUES
Jérémie 1 17 – 19
Matthieu 22 15 – 22
1 26 45
4 21 18-22
5 21 28-32
6 21 33-44
7 22 2-14
8 21 23
9 21 45; 22 15; 22 34.41
10 22 16
11 22 23
12 23 13,15,16.23.25.27.29
13 23 17,19,24
14 23 24.27.31.33
15 Lettre aux Romains 9 4-5
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