Dieu est Amour. Cette phrase est affichée sur le mur qui nous fait face maintenant. Elle nous saute aux yeux chaque fois que nous entrons dans ce lieu de culte pour y prier ensemble, nous parler, ou tout simplement pour veiller à son bon entretien. Je ne connais pas les circonstances qui ont fait que ces trois mots, tirés de la première épître de Jean, se sont retrouvés ici, bien en évidence, sur le mur le plus visible de notre église. Peut-être un ancien ou une ancienne pourrait-il nous rappeler par qui ils ont été affichés pour la première fois, et sous l’effet de quelle inspiration spirituelle ils ont été choisis; eux qui nous ouvrent une si belle perspective sur le mystère de Dieu. Je me souviens très bien, par ailleurs, que la vue sur cette phrase nous manquait, quand nous sommes rentrés en ce lieu après les rénovations de 2004-2005. Nous l’avons vite remontée du sous-sol où elle avait été remisée après les travaux. Nous lui avons redonné sa place d’honneur. Sur un mur sans fenêtre, elle est notre fenêtre sur Dieu.
Dieu est Amour. Il ne faut surtout pas nous habituer à ce que cette phrase soit devant nous, au point que nous finissions par l’avoir dans notre champ de vision, sans plus la voir vraiment et sans plus être interpellés par elle. Il ne faut surtout pas porter sur elle un regard vide et abstrait. En effet, elle nous dit quelque chose sur Dieu à partir d’une expérience très concrète que nous vivons tous et toutes, et qui est celle de nos humaines amours. L’amour dont Dieu aime et qui le fait Amour est, portée à l’infini, une forme d’amour que nous expérimentons nous-mêmes dans toutes les relations d’affection ou de solidarité qui font partie de nos vies : relations de couple, relations familiales, relations de voisinage, relations d’amitiés, relations de travail, relations de compassion, relations d’engagement social. Dans toutes ces relations, les circonstances de la vie et l’inspiration de l’Esprit nous appellent, à un moment ou l’autre, à franchir un seuil qui nous fait toucher le sol de l’amour divin. Arrive un moment, par exemple, où une relation de couple en crise demande plus que la passion amoureuse des premiers temps; un moment où une relation parentale avec un enfant fragile, handicapé ou difficile, ou encore avec un adolescent rebelle ou un adulte délinquant, demande plus que l’affection spontanée des beaux jours; un moment où des relations conflictuelles dans la famille, le voisinage ou les associations, y compris les Églises, demandent plus que la confortable connivence qui allait de soi en des temps meilleurs.
Dans toutes ces situations, l’amour, pour durer, pour se survivre à lui-même et se porter en avant dans le mouvement de son avenir, doit assumer sa part de souffrance; vivant ainsi à dimension réduite la souffrance que Jésus a assumée dans son amour pour l’ensemble de l’humanité. L’évangile de Jean met dans la bouche de Jésus cette Parole que nous venons de lire : « Nul n’a d’amour plus grand que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu’il aime. » (Jn 15, 13). Le verbe grec que notre traduction, celle de la TOB, a rendu par le terme peu courant se dessaisir veut littéralement dire mettre, placer, poser, déposer. Vient un moment où l’évolution d’une relation demande que nous y mettions non pas nécessairement toute notre vie, comme Jésus l’a fait, mais tout au moins quelque chose de nous-mêmes qui était jusque-là au cœur de notre vie : une tranquillité, une sérénité, des habitudes de vie, des idées toutes faites, des jugements de valeur, et même éventuellement des projets. Vient le moment où l’évolution d’une relation demande que nous les offrions en sacrifice. Le cours de la vie peut en être changé, comme plusieurs d’entre nous l’ont sans doute expérimenté.
On peut décider ou non de franchir ce seuil d’insécurité auquel l’amour appelle. Une personne qui siégeait sur le conseil d’administration d’une ressource en santé mentale m’a confié, un jour, son étonnement devant le nombre de personnes atteintes qui étaient laissées à elles-mêmes par leurs proches. À n’en pas douter, leur discours et leur comportement ont souvent de quoi déstabiliser des personnes de bonne volonté qui ne sont ni informées, ni préparées à composer avec cette réalité. C’est en s’informant, en consultant, en apprenant par essai et erreur à répondre du mieux possible à des situations qui prennent parfois un caractère dramatique, qu’on injecte à petite dose dans une relation établie un don de soi qui aide la personne concernée et nous transforme nous-mêmes sur un chemin d’amour. Celui-ci nous incorpore sans doute plus à Dieu que des heures consacrées à fuir les défis de la vie dans trop de distractions ou, ce qui est plus rare aujourd’hui, dans trop de religion.
Toutes les relations que j’ai évoquées –de couple, de famille, de parenté, de voisinage, d’amitié, de travail, de compassion et d’engagement social– comportent, à leur façon, et à un moment ou l’autre, leur appel à une certaine dose de don de soi qui, si nous y consentons, nous introduit plus avant dans l’amour divin, tel que la Bible nous le fait découvrir. Déjà, quelque 750 ans avant Jésus, un livre prophétique, celui d’Osée, utilisait l’altruisme dans l’amour humain comme image de l’amour divin. Comme il arrive souvent dans les livres prophétiques, l’enseignement du prophète ne passe pas seulement dans ses paroles, mais dans une situation de vie dans laquelle il se débat et à laquelle il se sent appelé par Dieu. « Va encore, entend-il, aime une femme aimée par un autre et se livrant à l’adultère : Car tel est l’amour du Seigneur pour les fils d’Israël, tandis qu’ils se tournent, eux, vers d’autres dieux… » (Os 3, 1). Les péripéties tumultueuses de cette relation amoureuse dans laquelle Osée donne beaucoup de lui-même sont à l’image de ce que Dieu donne d’amour, malgré tout, malgré ses déceptions et les colères qui en découlent, à un peuple qu’il aime et qui lui est infidèle. L’espérance d’Osée, de par son engagement dans l’amour, par delà les infidélités de l’être aimé, est celle qui anime Dieu à l’égard de son peuple et, par extension, à l’égard de nous tous, pauvres êtres humains. C’est cette espérance qui nous a donné les merveilleuses paroles d’amour que nous avons lues et dont je vous cite de nouveau les plus émouvantes. « Eh bien, c’est moi qui vais la séduire, et je la conduirai au désert et je regagnerai sa confiance…Et il adviendra en ce jour-là –oracle du Seigneur- que tu m’appelleras ‘mon mari’…Je te fiancerai à moi pour toujours , je te fiancerai à moi par la justice et le droit, l’amour et la tendresse. Je te fiancerai à moi par la fidélité et tu connaîtras le Seigneur. » (Os 2, 16; 18; 21-22).
L’amour humain, dans toutes ses formes, y compris la relation amoureuse passionnelle, ne s’oppose pas à l’amour que Dieu nous porte. Au contraire, l’amour humain est sacrement, signe sensible de l’amour que Dieu nous porte, dès le moment où se manifeste dans cet amour humain le don de soi que Dieu nous a rendu tangible dans le sacrifice de Jésus Christ. « Dieu, nul ne l’a jamais contemplé, avons-nous lu dans la lettre de Jean. Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous , et son amour, en nous, est accompli. » (1 Jn 4, 12). Oh oui! Comme cette inscription que nous avons sous les yeux chaque fois que nous entrons ici est chargée de sens! Elle résume pour nous l’essentiel de notre démarche spirituelle. Sur le mur sans fenêtre que peut être certains jours notre vie, elle est notre fenêtre sur Dieu. Dieu est Amour!
Amen.
Par Gérald Doré, pasteur desservant
Église Unie Pinguet
Culte du dimanche 17 mai 2015
Lectures bibliques (TOB)
Osée 2, 16-25
1 Jean 4, 7-12
Jean 15, 9-13
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