Frères et sœurs, nous sommes appelés à vivre dans l’amour et à discerner ce qui plaît à Dieu, ce qui est conforme à sa volonté. Voilà ce qui est, me semble-t-il le but de toute quête spirituelle… non seulement pendant le Carême mais tout au long de notre vie en fait. Dans ma prédication d’il y a deux semaines je disais que, selon moi, questionner, se questionner, remettre en question, c’est le début du discernement. Et bien, aujourd’hui, tout le monde est en discernement. Avez-vu entendu toutes les questions posées dans un seul chapitre de l’Évangile de Jean ? Tout le monde pose des questions : les disciples, les pharisiens, l’homme né aveugle, ainsi que ses voisins et ses parents. Jésus lui-même pose une question ou deux. L’Évangile d’aujourd’hui nous le montre très bien. Il n’y a pas de problème à poser des questions. Ce qui est plus complexe, c’est de déterminer, selon le contexte, lesquelles sont vraiment pertinentes et ensuite d’évaluer toutes les réponses possibles dans l’espoir de voir un peu plus clair.
Prenons la situation de l’homme né aveugle. En le voyant, les disciples demandent à Jésus : « Qui a péché pour qu’il soit né aveugle ? » La question se pose. Pourquoi ? Qui ne se l’est jamais posée ? Sur la croix, Jésus lui-même va la poser. « Mon Dieu, pourquoi? » Dans certains contextes, cette question est tout-à-fait pertinente. Nous demander pourquoi peut nous faire cheminer, nous éviter de répéter les mêmes erreurs. Toutefois, « Pourquoi? » n’est pas toujours la question qui nous fait avancer le plus. En tout cas, on le voit bien ce matin. « Pourquoi? » n’est pas la question la plus pertinente selon Jésus. Savoir pourquoi l’homme est né aveugle, à qui la faute, ne nous avance pas beaucoup. En fait, cela ne changerait pas grand-chose pour personne. La réponse de Jésus, par contre, ça, ça change bien des choses. « Ni lui, ni ses parents. Mais c’est pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui ! » Plutôt que de répondre à la question de l’origine du handicap d’un seul homme, Jésus ouvre la porte à des questions plus larges, pertinentes pour tous les enfants de Dieu, quelle que soit leur condition. Quelles sont les œuvres de Dieu et comment est-ce qu’elles se manifestent dans nos vies ?
Quelles sont les œuvres de Dieu ? L’histoire de l’homme né aveugle nous offre quelques pistes de réponse. La première, la guérison. Oui, Dieu guérit. Parfois même de manière miraculeuse. Mais, pour qui a les yeux pour le voir, la guérison physique n’est ni la seule ni la plus grande des œuvres de Dieu.
Dans quelques versets Jésus nous dira qu’il est venu qu’on ait la vie en abondance (Jean 10, 10). Avoir un handicap physique présente son lot de défis, de difficultés et de souffrances. Et c’est particulièrement difficile quand cela nous tombe dessous et qu’on doit faire le deuil de notre vie d’avant. Mais avoir un handicap ne signifie pas que notre vie ne peut pas être abondante, surtout quand on considère que la vie abondante que Jésus est venu nous donner ne se mesure pas selon les normes et les standards de notre société obsédée de la performance et de la productivité. La vie abondante que Jésus nous donne est une vie vécue dans l’amour, en communion avec Dieu et avec les autres. Et ça, bien qu’on n’y a accès que partiellement en ce moment. On peut y goûter dès aujourd’hui, quelle que soit notre condition physique, psychologique, spirituelle ou sociale.
Voilà, me semble-t-il, l’œuvre de Dieu. Dieu nous rassemble et nous unit dans l’amour. Personne n’en est exclu. Personne. Quand on regarde de plus près l’Évangile de ce matin, on voit que Jésus fait plus que guérir la cécité d’un homme. Guéri de son handicap, l’homme n’aura peut-être plus besoin de mendier et pourra vivre dignement, participant pleinement à la vie communautaire. Au début du récit, on parle de cet homme que les voisins avaient l’habitude de voir mendier. On spécule à son sujet. Jésus vient à sa rencontre. Il retrouve la vue. Il trouve aussi sa voix (il parle, il donne son opinion, il formule sa pensée au fur et à mesure qu’elle se clarifie.) L’homme trouve aussi son chemin dans la vie. Jésus lui dit d’aller se laver à la piscine de Siloé – ce qui signifie Envoyé. Celui qui restait sur place à mendier est envoyé sur le chemin d’une vie nouvelle. Celui qui vivait en marge de sa communauté vivra en enfant de lumière. Voilà, me semble-t-il l’œuvre de Dieu manifestée non seulement dans la vie de l’homme né aveugle mais dans la vie de tous ceux et celles qui vivent en enfants de lumière, en enfants qui s’aiment les uns les autres comme le Christ nous a aimés.
Comment discerner ce qui plaît à Dieu, ce qui est conforme à sa volonté ? Comment déterminer lesquelles de nos questions sont les plus pertinentes et lesquelles des réponses qui s’offrent à nous nous aideront à avancer de plus en plus dans la lumière? Il faut puiser au plus profond de nous, dans notre for intérieur. Au cœur de chacun et chacune d’entre nous, il y a l’amour par lequel et pour lequel nous avons été créés. Car nous sommes toutes et tous faits à l’image de Dieu qui est amour. Au cœur de notre vie l’amour. L’amour qui n’est un sentiment, un feeling… mais plutôt un choix. En bout de piste, pour nous, disciples du Christ, discerner, c’est choisir l’amour tel que Jésus l’a incarné. Discerner, c’est choisir ce qui permet aux autres de vivre dans la dignité. Discerner, c’est choisir de laisser les autres parler pour eux-mêmes et d’écouter ce qu’ils ont à nous raconter. Discerner, c’est choisir d’inclure plutôt que d’exclure.
Dans l’Évangile d’aujourd’hui, ce n’est ni l’homme né aveugle, ni ses parents qui sont dans le péché, qui ont manqué la cible. Ce sont les autorités qui veulent exclure toute personne qui ne voient pas comme eux. Ce sont les Pharisiens qui sont dans le péché. Ils sont dans le champ quand, plutôt d’écouter ce que l’homme a à leur dire et de se laisser transformer par sa perspective, ils choisissent de le jeter dehors, de le chasser. Jean utilise le mot grec ekballo. C’est le même mot qui est utilisé lorsque Jésus chasse des démons, des esprits mauvais. Les Pharisiens choisissent de voir et de traiter cet homme en démon parce que sa façon de voir le monde et l’œuvre de Dieu ne se conforme pas à la leur. Ils auraient pourtant pu voir et agir autrement, me semble-t-il.
Est-ce que ces Pharisiens finissent par voir clair ? Est-ce qu’ils sont parmi les Pharisiens qui deviennent disciples de Jésus ? L’histoire ne le dit pas. Peut-être parce que cette question n’est pas tellement pertinente. Il me semble que la question la plus importante de toute cette histoire est la suivante : « Est-ce que, par hasard, nous serions des aveugles, nous aussi ? »
Que cette question nous amène à nous remettre en question, à puiser au fond de nous-mêmes afin de discerner ce qui plaît à Dieu. Car comme disaient le renard au Petit prince, on ne voit bien qu’avec le cœur. Et que les œuvres de Dieu se manifestent dans ce qui jaillit de notre cœur. Amen.
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