Où il n’y aurait ni premiers ni derniers!
La parabole de ce matin (Matthieu 20.1-16) contient une des formules les plus célèbres de Jésus : les derniers seront les premiers et les premiers seront les derniers.
J’avoue que la phrase m’a toujours dérangé comme elle a semblé déranger les rédacteurs qui ont voulu l’édulcorer quelque peu : certains des premiers seront les derniers et certains des derniers seront les premiers. C’est qu’il y a véritablement un élément qui déstabilise et désarçonne au point de se demander si cette parole est une bonne nouvelle (évangile) ou une mauvaise nouvelle; une bonne nouvelle au demeurant, n’étant pas forcément une nouvelle agréable et facile, l’évangile n’a pas toujours un goût de bonbon.
La déclaration de Jésus, rappelons-le, vient après une bagarre entre les disciples pour savoir qui était le plus grand parmi eux. Jésus fit alors venir un enfant et les mit au défi de devenir comme ce dernier, car seules les personnes capables d’être comme des enfants pourraient entrer dans le Royaume des Cieux. Dans les versets qui ont précédé notre passage, Jésus parle de certaines valeurs-clés de ce Royaume en rapport avec les conflits et leur résolution, le pardon et la compassion. Aujourd’hui nous en voyons un autre aspect : l’inclusion radicale dans le cercle de la grâce.
En plus du conflit de préséance qui chauffait entre les disciples, un autre élément peut nous aider à mieux apprécier l’importance du passage de ce matin : c’est le contexte historico-religieux dans lequel se trouvait l’évangéliste Matthieu au moment de la rédaction du premier Evangile. Ce « contexte de vie » est connu, dans le jargon théologique, en tant que « Sitz im Leben ». Une cinquantaine d’années après la mort et la résurrection de Jésus, Matthieu était confronté aux problèmes liés à l’intégration des « païens » nouvellement convertis (les ouvriers de la onzième heure?) dans la communauté des premiers croyants, essentiellement composée de juifs (les ouvriers de la première heure?).
Avec ces deux éléments en tête et suivant notre propre parcours de vie, il est sûr que la parabole de Jésus, de même que la phrase « les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers» résonnent toutes les deux différemment en chaque personne. Un petit tour de table donnerait des déclarations telles que :
Ce qui me frappe, c’est qu’en fin de compte tout le monde reçoit sa récompense. En tant que chrétienne, ma relation personnelle avec Jésus est tellement précieuse qu’elle n’a pas de prix. Je ne peux que me réjouir de toutes les nouvelles personnes qui viennent de découvrir leur salut en lui. Je n’en suis pas jalouse et je n’en ai pas peur du tout.
Ce que je retiens dans cette phrase, c’est que le plus important est de trouver son salut, que cela soit tôt dans sa vie ou plus tard dans son existence, ou même sur son lit de mort.
Les médias rapportent qu’avec la sortie du nouveau iPhone 6, il y avait des files de personnes ayant passé la nuit dehors pour être les premières à posséder le nouveau gadget. Pourtant, leur ancien iPhone n’avait rien de défectueux. Je me demande comment cette parabole d’il y a plus de deux mille ans garde toute sa pertinence dans les enjeux de notre monde hautement technologique.
Le salut en Jésus Christ dépasse tellement toute autre considération que tout le reste devient extrêmement secondaire. Premiers ou derniers, peu importe, l’essentiel c’est d’être choisi par le maître de la moisson pour travailler dans son champ.
J’étais bouleversée quand j’ai vu l’autre jour un reportage de quelqu’un qui racontait dans ma propre langue comment ils étaient ensemble lorsque qu’un jeune homme en moto est passé pas trop loin d’eux. Il avait un beau sourire. Soudain, il s’est fait exploser en entrainant dans sa mort plusieurs victimes innocentes. Nous disons que nous avons le même Dieu et que nous ne devons pas haïr mais aimer tout le monde. Je me demande vraiment comment Dieu peut donner le même salaire à des gens qui ont trimé toute la journée qu’à celui qui vient à peine de mettre la main à l’ouvrage. Il doit y avoir une autre logique. C’est bien de se réjouir avec les ouvriers de la dernière heure qui ont été agréablement surpris, mais je comprends parfaitement la déception des premiers.
Il y a tellement d’approches diverses à ce texte lorsque nous nous laissons lire par lui! Moi ce qui me frappe, c’est comment vivre harmonieusement en tant que chrétiens avec d’autres personnes de différentes convictions religieuses. Comment garder l’intégrité de ma foi dans un monde où on parle de plus en plus de Dieu en termes presque universalistes. Assez curieusement, cet aspect de notre temps me fait penser au premier siècle de l’ère chrétienne, lorsque les judéo-chrétiens devaient entrer en dialogue avec les pagano-chrétiens. La parabole de Jésus peut avoir du sens dans le Royaume de Dieu mais ici, sur terre, elle semble très injuste car nous nous attendons à un salaire égal pour un travail égal. Les ouvriers de la première heure qui ont eu leur dos brûlé sous un soleil ardent sont victimes d’une injustice criante par rapport à ceux de la onzième heure.
Jésus, une fois de plus prend toutes nos conventions à rebrousse-poil. Il ne serait pas un bon candidat au prix Nobel de l’économie telle qu’elle est conçue sur les grandes places boursières du présent âge! L’économie du Royaume n’est pas une économie de rétribution mais de grâce, et même d’une grâce outrageusement folle et démesurée.
Dans la parabole, nous avons pour la plupart, tendance à observer les travailleurs; qu’en serait-il si nous nous attardions davantage sur les traits, le comportement et le raisonnement du maître du champ? Bien qu’apparemment riche, il ne se repose pas sur ses lauriers, hyperactif, il ne sort pas moins de cinq fois (moments de prières rituelles qui seraient chacun l’opportunité d’une action de compassion?) dans la journée de travail à la recherche d’ouvriers pour son champ. Il n’a lésé personne dans le salaire négocié et s’il a exagéré, c’est en donnant infiniment plus à qui ne le méritait pas, qui ne l’attendait pas. Il est le « boss » mais il est au courant des récriminations de ses employés, et il va jusqu’à leur donner une explication du pourquoi de ses agissements!
En fin de compte, la récompense suprême n’est-elle pas de travailler pour un tel maitre, dans un tel champ? Certainement, surtout lorsque nous devenons conscients de l’urgence et de l’importance d’annoncer la bonté, la compassion, le pardon, la fidélité et l’amour de Dieu : n’est-ce pas cela travailler pour lui? Quelle est donc cette tendance que nous partageons avec beaucoup d’autres de moins nous réjouir de la bonne fortune du plus grand nombre et de privilégier la récrimination et le sentiment de lèse-droit, surtout lorsqu’il est rattaché à l’argent et aux privilèges sociaux?
Le champ, c’est le monde où nous sommes. Baptisé/s en Christ, nous sommes d’office engagé/es à travailler à l’économie du Royaume. Nous sommes donc sensée/s nous rendre compte que la moisson est vaste et les ouvriers/ouvrières en petit nombre. Ce faisant, notre attitude pourrait alors être de souhaiter le plus de travailleurs, pour autant de temps que possible (ne serait-ce qu’un instant fugace) et à autant d’endroits du champ que nécessaire, imbu/es de la joie d’avoir déjà touché notre «récompense», autrement dit, enthousiastes d’être enfants de la promesse !
Entende qui a des oreilles!
Samuel Vauvert Dansokho
Eglise unie Saint-Pierre
Lectures bibliques
Matthieu 20.1-16
1« Le Royaume des cieux est comparable, en effet, à un maître de maison qui sortit de grand matin, afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. 2Il convint avec les ouvriers d’une pièce d’argent pour la journée et les envoya à sa vigne. 3Sorti vers la troisième heure, il en vit d’autres qui se tenaient sur la place, sans travail, 4et il leur dit : “Allez, vous aussi, à ma vigne, et je vous donnerai ce qui est juste.” 5Ils y allèrent. Sorti de nouveau vers la sixième heure, puis vers la neuvième, il fit de même. 6Vers la onzième heure, il sortit encore, en trouva d’autres qui se tenaient là et leur dit : “Pourquoi êtes-vous restés là tout le jour, sans travail ?” – 7“C’est que, lui disent-ils, personne ne nous a embauchés.” Il leur dit : “Allez, vous aussi, à ma vigne.”
8Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : “Appelle les ouvriers, et remets à chacun son salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers.” 9Ceux de la onzième heure vinrent donc et reçurent chacun une pièce d’argent. 10Les premiers, venant à leur tour, pensèrent qu’ils allaient recevoir davantage ; mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d’argent. 11En la recevant, ils murmuraient contre le maître de maison : 12“Ces derniers venus, disaient-ils, n’ont travaillé qu’une heure, et tu les traites comme nous, qui avons supporté le poids du jour et la grosse chaleur.” 13Mais il répliqua à l’un d’eux : “Mon ami, je ne te fais pas de tort ; n’es-tu pas convenu avec moi d’une pièce d’argent ? 14Emporte ce qui est à toi et va-t’en. Je veux donner à ce dernier autant qu’à toi. 15Ne m’est-il pas permis de faire ce que je veux de mon bien ? Ou alors ton œil est-il mauvais parce que je suis bon?” 16Ainsi les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. »
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