C’est ce qui sort d’une personne qui la rend impur (v. 20). C’est par ce qui sort d’une personne qu’on voit si elle a le cœur pur ou impur. Ce qui impur, c’est ce que Dieu ne peut pas tolérer ou accepter : les mauvaises intentions, les méchancetés, les injures, les injustices, les tricheries, les tromperies… etc. Jésus nous dit cela… et tout de suite après une femme se jette à ses pieds le suppliant de guérir sa fille. Et ce qui sort de la bouche de Jésus nous choque : « Laisse d’abord les enfants se rassasier, car ce n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens. » (v. 27) Soyons clair. Jésus ne dis pas cela pour laisser entendre que cette femme est comparable à un petit chien cute comme ceux qu’on voit dans des vidéos sur les réseaux sociaux. « Chien », c’était une manière désobligeante de désigner les non-juifs. Jésus l’insulte carrément. Ne vient-il pas de dire que les injures rendent une personne impure (v. 22) ? J’ai envie de dire : « C’est pas correct, ce que tu viens de dire là, Jésus. O.k. c’est pas une Juive « pure laine » mais t’as guéri d’autres étrangers (Marc 5, 1-20) pourquoi pas elle ? »
Oui, il se peut, comme plusieurs exégètes le prétendent, que Marc nous raconte l’échange entre Jésus et la syro-phénicienne pour mettre en lumière l’humanité de Jésus. Le fils de Dieu qui se fait clouer le bec par une femme… quel récit extraordinaire, surtout dans le contexte socio-culturel de l’époque! Mais est-ce tout ? Marc cherche-t-il simplement à révéler l’humanité de Jésus ? Ce récit ne révèle-t-il pas quelque chose sur les lecteurs de l’Évangile de Marc… ce qu’ils ont dans le cœur par exemple ?
À l’époque, il devait y en avoir qui trouvaient l’attitude de Jésus tout à fait correcte. Les juifs puristes ne partageaient rien avec les non-juifs… et surtout pas tout ce qui se partageait autour d’une table. Pour eux, ça aurait été tout à fait correct de dire qu’il n’était pas bon de donner la nourriture des enfants aux chiens. « Tiens7-toi, la femme! ». On voit bien ce que ces gens-là avaient dans le cœur. Pour eux, les dons de Dieu étaient réservés à un groupe sélect… les élus de Dieu… les privilégiés… les bénis de Dieu. On est loin d’une vision inclusive du monde, un monde de vie abondante pour toutes les créatures de Dieu. Et que nous, aujourd’hui, on s’en offusque… qu’on trouve que c’est pas correct de parler ainsi… mais c’est tant mieux. Ça révèle aussi ce que nous avons dans le cœur. Il y a des choses qui ne se disent pas.
Quand ma sœur et moi nous étions petites, ma mère nous disait souvent : « Si vous ne pouvez rien dire de bien, mieux vaut rien dire. » Parfois, il vaut mieux garder le silence. Mais soyons clair. Ici, il n’est pas question d’un silence boudeur, un silence qui nous emmure dans nos préjugés et nos idées préconçues, un silence qui coupe la communication et rompt la relation. Il y a des silences qui ouvrent nos horizons et nos cœurs… des silences qui nous rendent purs devant Dieu… et qui nous donnent de parler correctement.
Dietrich Bonhoeffer, pasteur luthérien et résistant au nazisme a dit « Se taire ne signifie rien d’autre qu’attendre la Parole pour pouvoir partir avec sa bénédiction ». Se taire pour attendre une bénédiction… littéralement une Parole qui dit du bien… une parole qui fait du bien… parce que la parole est créatrice n’est-ce ce pas (voir Genèse 1) ? Dieu dit seulement une Parole et tout fut créé (Genèse 1).
C’est ce que la femme attendait de Jésus… qu’il dise une parole pour le bien de sa fille… une parole pour lui redonner la vie. Sans répondre à la remarque apparemment désobligeante de Jésus par un insulte ou par un silence qui aurait rompu la communication et la relation, elle entre dans son jeu et la suite de l’échange nous révèle la pureté de leur cœur, à tous les deux. À la fin de l’échange, nous entendons Jésus et la femme parler correctement. Ils reconnaissent tous les deux que dans l’économie de Dieu, toutes et tous peuvent avoir leur part des bontés de Dieu… et que même les miettes sont plus que suffisantes pour répondre aux besoins de toutes les créatures de Dieu, du plus petit au plus grand. Parler pour dire du bien… pour partager les bénédictions de Dieu avec le plus grand nombre.
C’est ça parler correctement. Et c’est un art qu’on ne trouve pas partout. Pas sur les réseaux sociaux qui, par leurs algorithmes, nous permettent de rester fermement campés dans nos idées préconçues (si on n’aime pas ce que l’un de nos « amis » partage… on peut simplement le flusher). Et que dire de l’espace politique ? L’autre soir en écoutant le face-à-face à TVA à plusieurs reprises on aurait dit que les chefs n’avaient carrément pas entendu la question. Mais n’est-ce pas le reflet de la société en générale : quelqu’un a dit, je ne sais pas où, « Le plus grand problème dans la communication, c’est qu’on n’écoute pas pour comprendre mais pour répondre. » On écoute, non pas pour s’ouvrir, pour risquer la nouveauté mais plutôt pour défendre ce que l’on sait déjà. Avant que l’autre ait fini de parler… nous sommes prêts à rétorquer. Je le fais régulièrement je m’en confesse. Et c’est pas correct, je le sais.
Un endroit où j’entends les gens parler correctement, c’est ici à l’Église Saint-Pierre. Il est rare que nous partagions toutes et tous le même point de vue, la même opinion. Mais combien de fois le Christ a-t-il ouvert nos oreilles – comme il l’a fait pour l’homme sourd et muet ce matin – pour nous permettre d’entendre son souffle circuler entre nous pour nous ouvrir à de nouvelles façons de concevoir les choses… pour le bien commun ? Moi en tout cas… il y a plusieurs situations qui me viennent en tête quand j’y pense. Et je me dis que c’est peut-être l’un des dons que notre Église pourrait offrir au monde aujourd’hui (car l’Église fleurit toujours là où elle répond aux besoins réels des gens).
Au cours des derniers mois, des derniers années, nos cercles de partage – sur des sujets aussi variés que la laïcité, le végétarisme, l’aide médicale à mourir – ont suscité beaucoup d’intérêt. C’est très parlant, me semble-t-il. Il y a parmi nos contemporains, des gens d’horizons très divers, un désir de parler correctement : parler pour chercher pour le plus grand bien du plus grand nombre… plutôt que pour préserver les privilèges de quelques-uns.
Parler correctement, c’est s’ouvrir, par la grâce seule, à l’à-venir de Dieu, ce règne de justice, de paix, de solidarité et de vie abondante pour la création tout entière qui est proche… qui est déjà là… « Ephphata! » nous dit Jésus ce matin. Une parole peut suffire pour tout créer et re-créer.
Frères et sœurs, par la grâce de Dieu, que la Parole de Jésus qui circule parmi nous. Qu’elle ouvre nos oreilles et délie nos langues. Parlons correctement. Comme slogan pour une campagne électorale… ça pognerait peut-être pas… mais comme énoncé de mission pour une petite communauté de fois au début d’une nouvelle année pastorale, c’est winner… ne trouvez-vous pas? Amen.
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