Le reconnaissez-vous? Même si vous n’êtes pas des fans de jazz, il y a de fortes chances que l’image ci-dessus vous rappelle l’une de ses figures emblématiques : le trompettiste noir américain Dizzy Gillespie. Vous savez, celui qui gonfle tellement ses joues lorsqu’il souffle dans sa trompette! Ce n’est pas une image très élégante mais elle est très frappante.
Elle exprime parfaitement ce que Dieu, réclame dès le tout premier verset du passage que nous avons entendu tout à l’heure (Esaïe 58 :1). Il intime l’ordre de crier à plein gosier, de ne pas se ménager, de souffler à pleins poumons. L’appel pour commencer un jour de jeûne va en effet bientôt retentir, car le peuple plongé dans la détresse veut se tourner vers
Dieu pour le supplier et le mettre en demeure de faire quelque chose et de manifester enfin sa justice.
Traditionnellement, un pareil événement est annoncé par quelqu’un qui souffle dans le chofar, une corne de bélier, un peu comme les cloches sonnent pour annoncer les services religieux, ou que les muezzins, appellent à la prière du haut des minarets.
Seulement cette fois-ci, cela ne va pas se passer pas comme d’habitude. L’appel va certes retentir, haut et fort. En fait, il doit retentir beaucoup plus fort que d’usage. Il lui faut être assez tonitruant pour percer le mur du confort piétiste des adhérent/es d’une religion qui simplement et tranquillement, trop tranquillement, accomplissent des rites complétement détachés de la pratique quotidienne.
Non, pas cette fois-ci. Dieu en a marre! Marre des simagrées et des signes extérieurs d’une piété très superficielle. Dieu n’en a que faire du paraître.
Avec une fureur pleine d’ironie et de douleur Dieu dénonce :
Ils exigent de moi des jugements selon la justice, ils mettent leur plaisir dans la proximité de Dieu : « Que nous sert de jeûner, si tu ne le vois pas, de nous humilier, si tu ne le sais pas?»
Excusez-moi! Je dois avoir mal entendu : que dites-vous?
« Que nous sert de jeûner, si tu ne le vois pas, de nous humilier, si tu ne le sais pas?»
Ben, là vous êtes vraiment, mais alors vraiment gonflé/es! Parlez-moi de jeûne et je vous mets le poing dans la figure! Quoi, vous osez parler de jeûne!
Or, le jour de votre jeûne, vous savez tomber sur une bonne affaire,
et tous vos gens de peine, vous les brutalisez !
Or vous jeûnez tout en cherchant querelle et dispute et en frappant du poing méchamment !
Vous voulez parler de jeûne, de culte d’adoration et de louange pour vous rapprocher de moi, me supplier et me faire entendre vos suppliques? Le jeûne, l’adoration, le culte, la prière que je préfère, n’est-ce pas ceci :
dénouer les liens provenant de la méchanceté, détacher les courroies du joug, renvoyer libres ceux et celles qui ployaient, bref, mettre en pièces tous les jougs !
N’est-ce pas partager ton pain avec l’affamé ?
Et encore : les pauvres sans abri, tu les hébergeras, si tu vois quelqu’un nu, tu le couvriras : devant celui qui est ta propre chair, tu ne te déroberas pas.
Au peuple d’Israël comme à chacun de nous, aujourd’hui Dieu rappelle avec une sainte indignation que ce qui est important, ce n’est pas le paraître. Ce qui importe : c’est l’être. Ce que nous sommes est le thème du sermon sur la montagne que nous propose le lectionnaire de ce dimanche. A la suite des Béatitudes de la semaine dernière Jésus nous affirme sans ambages, comme il l’affirmait aux personnes qui voulaient le suivre : vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde.
Nous n’en avons peut-être pas l’impression, nous qui ne payons pas de mine, mais peu importe. Jésus l’a affirmé : nous le sommes. Alors, tout ce qui reste, c’est que nous devenions ce que nous sommes déjà, sans trop nous préoccuper de l’apparence!
Le paraître quelquefois doit disparaître pour faire place à l’être. Prenons justement l’exemple du sel.
Comme le sel se dissout dans ce qu’il sale et comme la lumière transforme l’obscurité qui se dissipe à son contact, nous sommes invité/es à nous dissoudre dans les comportements de justice et les actions d’amour qui par leur propre existence révèlent qui nous sommes : les artisans et les ingrédients du Royaume de Dieu, ici et maintenant! Il n’est pas question d’être le sel et la lumière de «l’au-delà» mais bien de «l’ici-bas», dès à présent !
L’injonction de Jésus dans Matthieu va à la racine des choses : c’est un appel radical à travailler sur les causes systémiques de ce côté de l’éternité, pas un bandage passager ou un service d’ambulance.
Nous avons à infiltrer et la terre par notre sel, et le monde, par notre lumière. Non, ce n’est pas du saupoudrage intime, individuel, privé ! La religion cesse d’être un exercice privé et discret pour entrer dans le domaine social et public. La lumière de Dieu est celle de la planète des vaches dans son ensemble.
Le sel et la lumière n’ont pas de sens pour eux-mêmes mais leur absence est ressentie. C’est en se dissolvant que le sel donne du goût aux aliments, et il n’est peut-être pas nécessaire de remplir nos églises pour être sel dans le Vieux-Québec.
L’image de Dizzy Gillepsie ne veut pas dire que nous devrions chercher à nous gonfler au point d’éclater comme la grenouille de la fable. Il s’agit au contraire, sans se forcer, d’être tous les jours tout simplement qui nous sommes. Tout comme le sel et la lumière sont d’usage, simple, pratique et quotidien. Leur manque se ressent, par la fadeur des plats et l’obscurité ambiante.
Si nous disparaissions, créerions-nous un vide ? Les gens s’en rendraient-ils compte ? En quoi notre présence pendant 25 ans ici a-t-elle salé et éclairé le Vieux-Québec ? Cela peut ne pas être de l’ordre du paraître ; je souhaite et j’espère que c’est de l’ordre de l’être. Le Seigneur nous en a donné le pouvoir, nous en a fait la promesse et nous en a confié la responsabilité:
Si tu élimines de chez toi le joug, le doigt accusateur, la parole malfaisante, cèdes à l’affamé ta propre bouchée et rassasies le gosier de l’humilié,
bref, si tu mets en pièces tout ce qui asservit
ta lumière se lèvera dans les ténèbres, ton obscurité sera comme un midi!
Que ceux et celles qui ont des oreilles pour écouter, entendent. Amen!
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