Intouchable. C’est ce que j’étais. Une intouchable. À cause de mes pertes de sang, j’étais impure et tout devenait impur à mon contact. Interdit de fréquenter la synagogue et le temple. Comment continuer à suivre les chemins du Seigneur, à garder ses commandements, ses lois et ses coutumes comme ça ? Comment “choisir la vie” quand on est séparé de Dieu, source de la vie ? Dans les faits, j’étais exclue de la plus grande partie de la vie communautaire. Je n’étais pas morte mais c’était tout comme. Évidemment, beaucoup se demandaient – et moi la première – ce que j’avais fait pour mériter un tel sort. Quand tout va bien et qu’on se croit inébranlable, c’est facile de louer le Seigneur pour tous ses bienfaits, de voir l’œuvre de ses mains dans nos vies. Mais quand ça va mal, quand on a l’impression d’être abandonné de tous, même de Dieu, c’est beaucoup moins évident. J’ai tellement prié : « Seigneur, pourquoi restes-tu silencieux face à mes supplications, indifférent à ma souffrance ? Que gagnes-tu à me laisser comme ça ? Les morts peuvent-ils proclamer ta fidélité ? Entends-tu nos prières ? Si oui, pourquoi n’interviens-tu pas? » Douze longues années sans réponse. Ma foi en était sérieusement ébranlée.
Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits. |
Douze ans de ce silence. Vous rendez-vous compte ? Douze ans, c’est long longtemps quand on est étiqueté : « intouchable ». Douze ans sans la moindre caresse ni câlin, c’est l’enfer. Et comme si ce n’était pas assez, mon mari a fini par me laisser. Le peu d’argent et de biens que j’avais, je les ai dépensés à essayer de me faire soigner… en vain. Résultat : je m’enfonçais dans la colère et la honte. Même s’il n’y avait rien de visible qui trahissait ma condition, j’avais l’impression que même les inconnus que je croisais pressentaient la vérité. À la longue, même à mes propres yeux, ma vie se résumait à cette étiquette : intouchable.
Je ne saurais même pas vous dire ce qui m’avait pris le jour où je suis allée à la rencontre de Jésus. J’ai hésité longtemps. J’y vais-tu J’y vais-tu pas ? Parfois, il est plus facile de rester enfermé dans sa souffrance et sa colère que de risquer une autre déception et de subir à nouveau le regard des gens qui jugent, qui condamnent… ou encore pire… qui se moquent carrément de la détresse des autres. Mais cette journée-là, par une grâce particulière, en mon for intérieur, une petite voix divine me disait : « Ne reste pas enfermée dans ta douleur comme dans une tombe. Choisis donc la vie. Sors de la prison de cette étiquette qui te colle à la peau. Ils n’ont sûrement pas tous tort, ces gens qui disent que s’approcher de Jésus, c’est s’approcher de Dieu; suivre Jésus, c’est suivre les chemins de Dieu. Il a fait des merveilles pour tant d’autres. Qui sait? Tu n’as rien à perdre et tout à gagner. » Alors finalement, je suis partie à sa rencontre… forte du peu de foi qui me restait… c’est-à-dire… à peu près gros comme une graine de moutarde.
Il est arrivé de l’autre côté du lac dans une barque. Il n’a même pas eu le temps de faire quelques pas que les gens se précipitaient sur lui. Tout le monde parlait en même temps, on n’y comprenait presque rien. « Maître ayez pitié de nous », disaient les uns.
« C’est pour quand le règne de Dieu? » demandaient les autres. Mais on ne lui laissait jamais le temps de répondre. Pourtant, tout le monde s’est tu quand Jaïros est apparu. C’était un homme important, un chef de la synagogue. Quand Jaïros parlait, tout le monde écoutait. Et cette journée-là, tout le monde voulait savoir ce qu’il allait dire car tout le monde savait que sa fille était malade et sur le point de mourir. Jaïros, malgré tout son argent et tout son pouvoir n’y pouvait rien. Il avait tout essayé, sans résultat. Le désespoir se lisait sur son visage. Et personne du village ne le comprenait plus que moi. De toute évidence, la souffrance ne discrimine pas entre hommes et femmes, riches et pauvres, entre races, classes ou croyances différentes. Sur le coup, j’ai vu que nous n’étions pas si différents, Jaïros et moi. Jaïros est devenu mon frère, mon frère dans la misère humaine. Mais en regardant ce frère s’approcher de Jésus, j’ai vu d’autre chose aussi. J’ai vu un homme de foi… une foi qui n’a rien à voir avec des débats sur la doctrine, ou sur les lois et les règlements et tout à voir avec sa confiance totale en Dieu. Ce n’était pas une foi intellectuelle et passive, mais plutôt une foi active, une foi qui le poussait à agir, à risquer le tout pour le tout. Il avait tout à perdre : son statut social élevé, l’admiration du peuple, le respect de ses paires – du moins de ceux qui ne trustaient pas Jésus pour deux cennes. Il risquait l’humiliation publique… et pire encore, une ultime déception. Il a risqué le tout pour le tout et s’est jeté aux pieds de Jésus en suppliant ce dernier de guérir sa fille. Voir mon frère dans la misère agir ainsi a fortifié ma faible foi… un tout petit peu. Et là, ça m’a frappé : c’est souvent par un frère ou une sœur que le Seigneur répond à nos prières, que Dieu vient à notre secours en nous donnant la force et le courage de faire quelques pas de plus dans la foi, n’est-ce pas?
Il y avait toujours cette étiquette qui me collait à la peau : « Intouchable ». Je n’avais pas le courage d’aborder Jésus directement comme Jaïros l’avait fait mais cette petite voix en dedans de moi me disait que si j’arrivais simplement à toucher son vêtement, je serais sauvée. Je pourrais me fondre dans la foule qui pressait Jésus de tous côtés. Il ne serait au courant de rien. Je me suis frayée un chemin. J’ai touché le bord du manteau du rabbi et aussitôt je me suis sentie guérie de mon mal. J’en étais ravie… et j’ai eu peur comme jamais auparavant.
« Qui a touché mes vêtements? » a-t-il demandé. Mon premier instinct était de ne pas bouger et de me taire. Après tout, comment pourrait-il m’identifier dans cette foule? Mais Jésus regardait autour de lui pour voir qui l’avait touché. À un moment donné, nos regards se sont croisés. Ce n’était pas le regard d’un homme qui cherchait à condamner un coupable. Aussi fou que cela puisse paraître, je vous jure que c’était Dieu lui-même qui me cherchait. Même dans cette masse de gens importants, il me voyait. Je comptais à ses yeux, autant que la fille de Jaïros. Il avait du temps, de l’amour et de la compassion pour nous deux, et pour tous les autres. Cette prise de conscience m’a donné juste assez de courage pour faire quelques pas de plus dans la foi. Je me suis approchée de Jésus. Je me suis jetée à ses pieds et je lui ai raconté toute la vérité. Je redoutais sa colère face à mes transgressions. C’est la paix qu’il m’a donnée dans l’intimité de ce moment sacré :
« Ma fille, ta foi t’a foi t’a sauvée. Va en paix. »
Oui, j’ai la paix. Je suis sauvée. Pas juste guérie physiquement… mais sauvée. Dans l’intimité de ma rencontre avec Jésus j’ai retrouvé la santé, oui, et je n’en finirai jamais de chanter ma reconnaissance. Mais aujourd’hui, avec plusieurs années de vie de plus dans le corps, force m’est de constater que la santé physique est éphémère. Le salut – une vie pleine et entière vécue en communion avec Dieu et les autres – le salut est éternel et ce, quelque soit son état physique, psychologique ou spirituel.
Aujourd’hui, ma foi en Jésus me dit que personne n’est intouchable. Devant la puissance de son Esprit à l’œuvre en nous et parmi nous, tous les murs érigés par nos mécanismes de défense ne sont que châteaux de sable. Dans l’espace de 12 secondes à peu près, Jésus a fait crouler toutes les barrières qui me séparaient de Dieu et des autres depuis 12 ans. En m’accueillant telle que j’étais, Jésus m’a sauvée. Il en était de même pour la fille de Jaïros. Même dans la mort, elle n’était pas intouchable . Frères et sœurs, j’en ai la conviction : pour Jésus, personne n’est intouchable. Par la foi, même une foi aussi petite qu’une graine de moutarde, il veut nous sauver toutes et tous. Frères et sœurs dans la foi, chantons le Seigneur, nous, ses fidèles. Célébrons-le en évoquant tous ses bienfaits. Il a changé mon deuil en une danse. Il en fera autant pour tous ses fils et ses filles. Alléluia.
1er Juillet 2018 – 6 Pentecôte B18 – Église Unie Saint-Pierre
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