En ce nouveau printemps de la 15e année du 21e siècle, selon un calendrier qui se réfère à la naissance de Jésus, il semble de plus en plus incongru à bon nombre de nos contemporains de se référer explicitement au sens de Pâque, de trouver un quelconque réconfort dans le triomphe du Christ sur la mort, prélude de la leur.
À moins de se réfugier dans un fondamentalisme primaire – où l’expérience du pari de foi (le risque de la confiance) est alors totalement absorbée dans la crédulité et l’apparente sécurité d’un certain fanatisme – confesser la résurrection va à l’encontre de ce qui est ressenti ou compris, de notre expérience immédiate, osons le dire.
Comme c’est souvent le cas, la chanson est un peu le baromètre de la vision du monde d’une époque. Il me semble que par rapport à notre réflexion d’aujourd’hui, la chanson à Paradis City [cliquez pour entendre] de Jean Leloup décrit bien la nôtre :
Tous les chemins mènent en enfer mais quand tu vois la porte en fer
Il est trop tard pour te refaire; retour au concessionnaire
Toutes les routes meurent sur terre
Les morts ont appris à se taire
R/ Et je cry je cry baby wou À Paradis City à Paradis City
Tous les chemins mènent en enfer et rien de rien ne t’appartient
Que les couleurs du ciel immense un jour de mai tout recommence
Tendre est la nuit les illusions qui meurent les idées de bonheur
Je suis un voleur d’éternité dans un monde blessé R/
Cours! Cours!
Court, court le vent remplissant les étranges oranges du temps
Nous sommes les marionnettes du temps qui s’arrête
Tous les chemins mènent en enfer pendant que le cœur dans les airs
S’accroche au sommet des éclairs
Tous les chemins mènent en enfer mais quand tu vois la porte en fer
Il est trop tard pour te refaire; retour au concessionnaire
On ne sait pas le grand mystère
Arrivent les hélicoptères R/
Que constatons-nous en regardant autour de nous? La terreur se diffuse : les atrocités, les guerres, la torture, le mensonge, la cupidité des puissants étalés devant nous en direct ou aux informations; et aussi, les mesquineries, les infidélités, les convoitises, les tricheries, les lâchetés des petits, celles que nous subissons et toutes celles que nous infligeons. Sans parler des maladies, des accidents, de la vieillesse, de la solitude… Effrayés et remplis de crainte selon Luc, par tous ces visages de la mort. Et je cry je cry baby wou À Paradis City à Paradis City, se lamente le chansonnier qui fait écho à notre spleen collectif.
Notre expérience n’est pas si différente de cette scène insolite de la fin de l’évangile de Luc. Ne sommes-nous pas enfermés comme ces disciples d’alors ? Comment est-il possible que Jésus mort et enseveli soi présent au milieu d’eux ? Et comment ce vœu entendu, La paix soit avec vous, peut-il effectivement se réaliser ? Jadis comme aujourd’hui les émotions fortes troublent l’entendement, créent un état de choc. Stupeur, peur, confusion, même sous la joie et l’exaltation, nous troublent, peuvent susciter le doute, l’incrédulité et cela malgré la perception des sens. C’est invraisemblable et pourtant cela est. Tout disciple est ici invité à perdre pied, à se risquer au-delà de ce qui est plausible, à entrebaîller un peu la porte pour laisser place à une possibilité de l’impossible…
Dans le récit, la nourriture absorbée, les mains et les pieds percés servent à indiquer qu’il ne s’agit pas d’un fantôme, d’une hallucination. Jésus, par la paix qu’il apporte parmi nous, est réellement présent, mais il possède désormais une « valeur ajoutée » pour ainsi dire, une autre dimension : celle de la profondeur des choses, de l’insondable mystérieux, qui affleure la matière, et transperce la réalité pour qui se risque à faire face à ses peurs et ses doutes et découvrir l’émergence de l’au-delà dès ici bas. Ce qu’on croyait perdu, à jamais disparu dans la mort, est paradoxalement rehaussé dans un mode de présence qui est à la fois une continuité avec ce qui a été et un inédit radicalement autre.
Mes bien-aimés, dès à présent nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous savons que, lorsqu’il paraîtra, nous lui serons semblables, puisque nous le verrons tel qu’il est. Quiconque fonde sur lui une telle espérance se rend pur comme lui est pur. [1Jn] Pour ce faire il nous faut donc passer par une conversion, c.à.d. un revirement bout pour bout de la manière d’approcher la réalité du monde, de l’histoire, de notre vie personnelle, tant par l’intelligence que par le cœur. C’est bien moi prononcé par Jésus, ne peut se prouver, pas plus hier qu’aujourd’hui. Ce témoignage transmis depuis 2000 ans le propose aux hommes et aux femmes en quête d’absolu, de Dieu : chacun-e est convié à se laisser saisir personnellement par cette metanoïa/conversion, une lucidité humble sur soi-même et le monde qui donne accès des maintenant à la qualité de l’au-delà : au pardon des péchés, rectification – purification – libération – guérison – rétablissement – relance – recommencement – renouveau. Résurrection.
C’est vous qui en êtes les témoins de conclure le récit. L’expérience spirituelle chrétienne engage toute la vie. Qui pratique la justice est juste, comme Lui est juste. Mais vous savez que Lui a paru pour enlever les péchés ; et il n’y a pas de péché en lui. Quiconque demeure en Lui ne pèche plus. Voilà un programme pour toute une vie quelque soit l’âge auquel nous l’entamons. Dans la paix de Celui qui est à jamais présent au milieu de nous, pour paraphraser Leloup, nous savons le grand mystère, il n’est plus trop tard pour te refaire car toutes les routes ne meurent plus sur terre. Jésus, ce voleur d’éternité dans un monde blessé nous offre de partager sa victoire, si paradoxale et invraisemblable qu’elle soit. Par grâce. Oui, Il est ressuscité. Il est vraiment ressuscité. Amen.
Denis Fortin, pasteur
St-Pierre 4e dimanche de Pâques « B » – 19 avril 2015
Lectures bibliques :
Psaume 4; 1 Jean 3, 1-7; Luc 24, 36b-48.
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