Mercredi dernier, j’ai eu trois réunions d’affilée. J’ai passé presque 9 heures consécutives sur Zoom. Et sur ces 9 heures… environ 7 ont été consacrées à des questions reliées aux finances des ministères de notre Conseil régional, dont nos paroisses. Ça, dans une Église où de façon générale, parler d’argent rend les gens mal à l’aise. Vous avez peut-être entendu des gens dire que l’Église est un lieu où on vient se ressourcer spirituellement… pas pour parler d’argent. Permettez-moi de vous redire ce que vous savez déjà : dans l’Église il y a un temps pour tout, même pour parler d’argent, pour au moins deux raisons. Premièrement, parce que, au jour le jour, concrètement, sur le plancher des vaches, faire Église coûte de quoi. Pour avoir un espace (même virtuel) où venir nous ressourcer spirituellement, ça prend des sous. Ça prend des sous pour louer ou entretenir un local, pour le chauffer. Ça prend de l’équipement informatique et un abonnement Zoom pour nous retrouver en ligne. Dans les deux cas, ça prend des gens avec les compétences et la disponibilité nécessaires pour préparer notre nourriture spirituelle. Je ne connais aucune Église où tout est fait bénévolement, où on ne paie ni salaire, ni honoraires.
Deuxièmement, oui, le ressourcement spirituel est un aspect fondamental de la vie chrétienne, mais pas uniquement pour notre bien-être personnel, pour que nous demeurions centrés, zen, en harmonie avec nous-mêmes. Dans nos ressource-moments comme on les appelle souvent à Saint-Pierre, l’Esprit du Christ travaille en nous afin de nous équiper pour bâtir le royaume de Dieu, un monde radicalement renouvelé, où la paix et la justice divines règnent sur la terre comme au ciel.
Et si on regarde l’enseignement de Jésus de près, il devient évident que, selon lui, la justice du royaume de Dieu n’est pas possible sans justice économique. Quelques chiffres à l’appui (je m’en confesse, je ne les ai pas tous vérifiés, mais ça ne me semble pas être des « faits alternatifs », des fake news comme on les appelle) : vingt-sept des quarante-trois paraboles de Jésus – soit 62 % – parlent d’argent. La Bible inclut quelques 500 versets sur la prière, moins de 500 sur la foi… mais plus de 2000 sur notre rapport à l’argent.
L’extrait de l’Évangile de Matthieu de ce matin en contient l’un des plus connus « Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » Comme l’un des participants nous l’a fait remarquer vendredi dernier à La Parole sur le pouce : c’est sur ce verset que se serait construite la notion de la séparation de l’Église et de l’état, ainsi que la loi sur la laïcité en France comme ailleurs.
Mais est-ce vraiment là où Jésus veut en venir ce matin ? Pas sûre. (Et je ne semble pas être la seule. Cliquez ici pour lire un article intéressant à ce sujet). Il me semble que plutôt que de prêcher la séparation de l’Église et de l’État à ses disciples, Jésus cherche à révéler au grand jour, le péché de ses adversaires, c’est-à-dire leur séparation d’avec Dieu. Ce matin, un groupe de disciples des Pharisiens et d’Hérodiens s’approchent de Jésus et lui demandent: « Selon la loi juive, est-il permis, oui ou non, de payer le tribut à César ? » Mais le but de la question n’est pas de discerner la volonté de Dieu pour le peuple. Les Pharisiens et les Hérodiens veulent prendre Jésus au piège. Ils veulent le discréditer aux yeux des autres afin de pouvoir se débarrasser de lui une fois pour toutes : « Est-il permis, oui ou non, de payer le tribut à César ? »
Si Jésus dit: « Oui, il est important de payer des taxes. C’est les taxes qui nous permettent d’améliorer la qualité de vie des citoyens-nes : d’avoir un réseau routier, un système d’égouts et toutes les commodités modernes », il soulèvera la colère des gens ordinaires qui en ont jusque-là des taxes romaines. Et il attirera la foudre des fondamentalistes pour qui payer un tribut à César est un signe d’allégeance à un homme et non pas au Dieu de leurs ancêtres. Mais si Jésus dit: « Non, la loi juive nous dit que notre seule allégeance doit être à Dieu alors payer le tribut est blasphématoire. » Il sera arrêté par les Romains pour trahison.
Jésus ne tranche pas : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » Cette réponse laisse entendre que la vraie dévotion, ce n’est ni la collaboration aveugle avec l’état, ni la séparation totale entre notre vie publique et notre vie spirituelle. Après tout à l’époque de Jésus il n’y avait pas de séparation entre le temple et l’état. Toute question était une question spirituelle. Et Jésus était juif. Il priait les psaumes comme nous l’avons fait tout à l’heure : « À l’Éternel, le monde et sa richesse, la terre et tous ses habitants ! »
Tout est à Dieu. Le reconnaître change profondément notre rapport à nos biens. La question n’est plus « Qu’est-ce que je donne à Dieu pour l’avancement de son projet d’avenir, le royaume des cieux là où tout un chacune a son pain quotidien, sa juste part des richesses de Dieu ? » La question devient plutôt « Comment est-ce que je mets ce que j’ai au service du royaume ? Avec les moyens que j’ai, comment puis-je participer à l’avènement d’un monde où la création entière ait la vie en abondance ? »
Notez bien, comme d’habitude, Jésus ne nous donne pas une réponse claire et nette. C’est peut-être en partie parce que cette question, chacun et chacune de nous doit se la poser… et se la reposer… tout au long de sa vie. Il ne pourrait pas en être autrement parce que nos besoins et les besoins de ce monde que Dieu nous a confiés changent constamment.
Comme je l’ai dit tantôt, dans l’Évangile aujourd’hui, Jésus n’essaie pas de donner des instructions à ses disciples. Il ne leur fait pas la morale, me semble-t-il. Jésus est en train de donner une leçon à ses adversaires. Jésus discrédite ceux qui cherchent à lui tendre un piège. Jésus leur demande un denier romain, sur lequel l’empereur est représenté en divinité, et qui contient l’inscription « Empereur Tibère auguste fils de l’auguste dieu ». Les adversaires de Jésus sont démasqués. Ils ont en leur possession cette monnaie. Elle a donc de la valeur pour eux. Et par le fait même, ils transgressent la loi juive qui interdit la fabrication et l’adoration d’idoles, de faux dieux (Exode 20, 3-4).
Si Jésus ne veut pas faire la leçon à ses disciples, il cherche peut-être à susciter chez eux une confession de foi. Ils les invitent – comme il nous invite nous aussi aujourd’hui – à poser un geste autant politique que spirituel. Jésus nous invite à le choisir ou à le rechoisir. En qui mettrons-nous notre confiance ? Qui déterminera le cours de notre vie spirituelle et citoyenne : César ou Jésus ? Le faux ou le vrai Fils de Dieu ?
Et en même temps, ce matin, les paroles et les gestes de Jésus sont aussi une déclaration de la grâce. La pièce d’argent est empreinte de l’image de César. Nous, nous sommes tous et toutes faits à l’image de Dieu. Et les baptisés sont marqués du signe de la croix. Cela veut dire que, bien avant que nous puissions marquer un X pour faire un choix politique, notre vie porte la marque d’un choix divin. Nous, nous avons du prix aux yeux de Dieu. Même si nous n’avons pas un sou dans nos poches, nous avons de la valeur, parce que ce tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons vient de Dieu. Le reconnaitre change tout : notre façon de voir notre prochain, nous-même et le monde que Dieu nous a confié. Reconnaître que nous sommes toutes et tous faits à l’image de Dieu nous conduit naturellement… divinement… au refus de la misère : la nôtre comme celle des autres. Comment ne pas considérer ce qui a du prix aux yeux de Dieu ? Comment ne pas mettre le paquet pour chérir et sauvegarder ce qui est très bon aux yeux de Dieu ? Tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons est très bon (Genèse 1, 31) et peut être mis à contribution pour faire advenir ce royaume où l’amour, la paix et la justice de Dieu sont monnaie courante. Alors, rendons à Dieu ce qui est à Dieu. Par sa grâce seule, notre foi active, notre amour qui se donne de la peine, et pour notre solide espérance en Jésus Christ, notre seul Seigneur peuvent transformer le monde. Amen.
LECTURES BIBLIQUES
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