Les chants et les textes bibliques, les prières et le rituel de la Cène qui colorent le culte de ce matin parlent d’eux-mêmes, du moins pour celles et ceux qui ont les oreilles pour entendre, c’est-à-dire un cœur réceptif pour en saisir le sens et un désir renouvelé pour agir en conséquence. L’action de grâce est une action : celle de Dieu, origine sacrée de tous les dons reçus, et la réponse des êtres qui en bénéficient qui, en discernant dans ces dons la lumière divine, aspirent à vivre donc à agir sous son éclairage, dans l’humilité et la liberté.
Dans leur foisonnement, les récoltes annuelles et les ressources nourricières de notre Mère la Terre nous le redisent inlassablement : le monde est marqué au sceau de l’abondance et destiné au bien-être de tous les vivants. Voilà la vision prophétique d’Ésaïe, pour le SEIGNEUR une renommée, un signe perpétuel qui ne sera jamais retranché… Vous tous qui êtes assoiffés, venez vers les eaux, même celui qui n’a pas d’argent, venez ! Demandez du grain, et mangez ; venez et buvez !– sans argent, sans paiement – du vin et du lait.[1] Toute loi du marché, toute organisation de l’économie ne devraient-elles pas découler de l’ordre cosmique et non prétendre le dominer? Un regard sur les désastres écologiques qui se multiplient tout autant que les iniquités, tant au niveau local qu’international, illustre dramatiquement la chose. Écoutez donc, écoutez-moi, et mangez ce qui est bon… tendez l’oreille, venez vers moi, écoutez et vous vivrez.[2] Cette écoute de la Présence sacrée qui parle dans les réalités de l’univers alimente en nous une juste manière d’être et d’agir, la véritable liberté en accord avec l’intention inscrite dans l’ordre du monde. C’est là selon moi l’efficacité de l’action de grâce qui fait de nous des dégustateurs et non des gloutons qui souhaitent partager leur plaisir au plus grand nombre et ainsi le décupler. Car toutes et tous y sont conviés, sans argent, sans paiement,[3] le fondement de toute solidarité planétaire authentique.
Ce foisonnement de vitalité destinée à se perpétuer à travers le temps et à se renouveler de génération à génération est la fontaine de toute guérison et l’expression de la miséricordieuse bienveillance de l’Éternel. Pour nous ici rassemblés, Jésus en est le témoin et le dispensateur. Car l’Évangile met à jour l’intention divine autant envers les personnes que nos sociétés : la purification[4] de tout ce qui corrompt, entrave, défigure et isole de la plénitude de vie. Dieu veut le salut, la santé, la libération, pour tout le monde et à toutes les époques; la générosité de la nature est l’expression de son amour fécond et de l’abondance infinie qui est notre partage solidaire. Le reconnaissons-nous?
Comme au lépreux purifié, Jésus nous dit à vous à moi, à notre monde : Relève-toi, va. Ta foi t’a sauvé.[5] Pourtant les dix [lépreux] n’ont-ils pas été purifiés ? Et les neuf autres, où sont-ils ? Il ne s’est trouvé parmi eux personne pour revenir rendre gloire à Dieu…[6] Si pour nous la solennité de l’Action de grâces est davantage qu’un congé le 2e lundi d’octobre, ce n’est pas en raison de nos mérites personnels. Nous avons eu le don d’écouter, de tendre l’oreille et de nous rapprocher de cœur et de corps de la Source inépuisable, d’y recevoir la joie, l’espoir, la motivation et la paix. En nous s’est inscrit un mouvement semblable à celui de ce lépreux qui voyant qu’il était guéri, revint en rendant gloire à Dieu à pleine voix, se jetant le visage contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce.[7] Et cela nous le faisons, en toute humilité, en toute liberté; nous portons dans nos cœurs et dans cette assemblée, nos sœurs et nos frères, car notre action de grâce ne peut être que solidaire de notre monde meurtri, à l’exemple de l’amour du Christ.
Avec reconnaissance à l’Éternel pour tous ces bienfaits, dans quelques instants dans la Sainte-Cène, nous ferons eucharistie, nous rendrons grâce et prierons ensemble pour la gloire de Dieu et le salut du monde[8]. Et en conclusion de ce mouvement d’action de grâce, voici les propos du prêtre et théologien Raimon Panikkar : « L’expérience de Dieu mène à l’humilité et à la liberté. Je ne découvre pas un autre objet ou d’autres êtres ; je découvre la dimension de profondeur, d’infini, de liberté qui se trouve en tout et en tous. C’est la raison pour laquelle l’expérience de Dieu confère, presque nécessairement, l’humilité d’un côté et la liberté de l’autre. »[9] Grâces en soient rendues à Dieu. Amen !
LECTURES BIBLIQUES
[1] Ésaïe 55,13b.1
[2] Ésaïe 55,2b-3a
[3] Ésaïe 55,1b
[4] Voir Luc 17,13-14
[5] Luc 17,19
[6] Luc17,17-18a
[7] Luc 17,15-16
[8] Répons liturgique du rituel catholique romain de l’eucharistie
[9] Raimon Panikkar – https://fr.wikipedia.org/wiki/Raimon_Panikkar – https://www.readimo.com/fr/quotes/citations-de-raimon-panikkar#3
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