Le Carême, c’est une période de l’année liturgique qui ne pousse pas en soi à l’excitation fébrile, même si cette quarantaine ne laisse plus ce goût amer de temps de privations et de sacrifices comme autrefois certains parmi nous l’avons connu. La journaliste Ève Dumas écrivait dans La Presse il y a quelques années : L’abbé Raymond Gravel, qui n’a pas la langue dans sa poche, comprend pourquoi nous en sommes arrivés là. « Je déteste le mot sacrifice. La vie nous en impose déjà assez comme ça. Autrefois, le carême était imposé. On avait le droit de manger du prochain, mais pas du chocolat! Le vrai carême est un moment qui, au contraire, doit accroître notre sensibilité aux autres et notre esprit de partage.»
Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits. |
L’appel à la conversion que nous adresse Jésus dans l’Évangile de Luc est un appel à cette conversion-là. Non pas à nous mortifier, mais à nous « tourner vers » Dieu et vers les autres. Voilà le vrai sens de la conversion, « se tourner vers »…
Pour y arriver, Luc prend un épisode anecdotique de la vie de Jésus, il nous montre Jésus en bon pédagogue qui sait partir des faits de la vie pour donner son enseignement. Deux faits divers – sans doute mis bout à bout dans le même discours plus par Luc que par Jésus – le massacre des Galiléens par Pilate et la chute de la Tour de Siloé. Quel enseignement Jésus veut-il bien nous donner de ces deux événements?
Très certainement faut-il reconnaître un aspect fondamental de la prédication de Jésus : une invitation à la repentance dans la perspective du jugement imminent. Dès le début de son ministère, dans la foulée même de son précurseur Jean-Baptiste, Jésus proclame un Royaume tout proche, il multiplie les miracles pour amener les gens à la conversion et il avertit les foules que c’est la pénitence qui les sauvera de la condamnation.
Repentance, conversion, pénitence, condamnation, voilà des mots bien peu populaires… mais allons plus loin, plus profondément dans le message de Jésus tel que véhiculé par Luc, cet évangéliste de la miséricorde divine.
Quels sont donc les éléments du message de cet évangile aujourd’hui?
La mentalité populaire de l’époque, peut-être même la nôtre aussi, continuait à lier le malheur à une sanction du péché, à une conséquence de comportements inadéquats. Jésus repousse solennellement cette vieille croyance de la rétribution temporelle, automatique et incompréhensible. « Non, je vous le dis », le mal reste un scandale pour quiconque.
Non, affirme Jésus, les hommes tués par les soldats de Pilate ou par la chute de la tour ne sont pas plus pécheurs que les autres. Ils étaient pécheurs, bien sûr, nous le sommes tous et toutes. Mais pas plus, pas moins. Non, Jésus prend à témoin ces deux faits divers catastrophiques comme autant d’avertissements providentiels. Ces exemples sont là pour nous inviter à accueillir le salut offert par l’Envoyé de Dieu maintenant, pendant qu’il en est encore temps, sans attendre à un « plus tard » hypothétique. La fin du monde, quelle que soit sa forme, viendra bien un jour ou l’autre. Nous avons donc intérêt à accueillir maintenant le don de la conversion comme un don de grâce, un don de vie éternelle.
À première vue, la parabole du figuier qui suit tout de suite cet enseignement de Jésus apparaît très proche de l’appel à la pénitence. Mais la nuance du message est de taille et nous dit un peu plus qui est notre Dieu. La parabole du figuier ajoute la dimension d’un délai de grâce à cet appel pressant à la conversion. La pensée contenue dans cette parabole est claire : Convertissez-vous, dit Jésus, le temps presse… mais Dieu vous accorde un dernier délai… le temps de bêcher la terre pour que le figuier porte du fruit.
La parabole du figuier invite les chrétiens à une conversion dès maintenant, à une conversion permanente, à une conversion féconde. Se convertir, c’est porter du fuit, des fruits dignes du repentir (Mt 3,8 et Lc 3,8), comme le diront Matthieu et Luc en invitant les croyants à adhérer au Christ; se convertir, c’est aussi porter du fuit, du fruit qui demeure (Jn 15, 16), c’est-à-dire principalement d’amour fraternel, comme l’enseigne Jean; se convertir, c’est encore porter du fruit de l’Esprit (Ga 5, 22), cette richesse multiforme de la charité, qui se décline en amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi, comme nous y invite Paul. Dans cette parabole, Jésus veut marquer comment la conduite de Dieu dépasse largement l’ordre humain tellement restreint. Jésus nous démontre, dans son discours, comment son ministère constitue le signe vivant et efficace de la sollicitude et de la longanimité de son Père des cieux. Jésus menace, si j’ose dire, mais montre aussi que Dieu ne se résigne pas à laisser se perdre sa créature sans avoir tout essayé pour toucher son cœur. Cette lueur de miséricorde qui traverse cette parabole a sans doute déconcerté son Précurseur qui annonçait comment la hache était déjà au pied de l’arbre, mais correspond pleinement au style messianique de Jésus.
Luc, c’est le médecin, celui qui a mandat de soigner les autres, c’est l’évangéliste de la miséricorde… La miséricorde est sans doute son thème le plus cher, en tous cas. Cela confirme qu’il a voulu nous livrer, encore aujourd’hui, un enseignement sur la longanimité et la compassion de notre Dieu, lent à la colère et plein d’amour.
Le soin avec lequel Luc montre que Dieu, dans sa bonté, accorde un sursis au pécheur rejoint l’espérance de toute l’Église de son temps. L’Église primitive pouvait attendre la Parousie qui semblait tellement imminente plus sereinement… Si Jésus tardait à revenir pour juger le monde, croyaient les premières générations chrétiennes, c’est que, comme l’écrit Pierre dans sa 2e lettre, iluse de patience envers nous, voulant que personne ne périsse, mais que tous arrivent au repentir.
En cette saison de Carême, il est bon de nous arrêter pour prendre le temps de nous sentir sollicité par Dieu à une conversion toujours renouvelée. Et comme Dieu se présente comme un Père qui temporise, nous sommes invités à l’imiter dans sa miséricorde. Aimons et pardonnons donc comme Dieu aime et pardonne. Et pour y parvenir, comme une pareille conduite n’est pas si spontanée pour un cœur humain, demandons la Force de l’Esprit. Et peut-être comme le figuier, donnerons-nous à notre tour des fruits, et des fruits qui demeurent. AMEN !
Pour la 3e semaine du Carême C.
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