L’avez-vous vu entrer au temple, cette veuve ? Madame chose… comment s’appelle-t-elle, déjà ? Peu importe. Elle préfère probablement rester anonyme. À la différence des scribes qui se pavanent de sorte que tout le monde les remarque avec leurs beaux habits et leurs belles paroles, j’imagine qu’elle essayait de se faire le plus discrète possible, invisible même… sous la honte qui pèse souvent si lourd sur les épaules des démunis. Mais Jésus, lui, la voit. Elle ne faisait rien de remarquable et soudain, tous les projecteurs sont braqués sur elle. « En vérité, je vous le déclare, cette veuve pauvre a mis plus que tous ceux qui mettent dans le tronc. Car tous ont mis en prenant sur leur superflu ; mais elle, elle a pris sur sa misère pour mettre tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. » (v. 43-44)
Remarquez bien, Jésus ne dit pas, « Allez et faites de même ». Il me semble que Jésus attire notre attention sur la veuve non pas pour inciter ses disciples à vivre et à mourir dans l’indigence mais plutôt pour mettre en lumière l’hypocrisie des scribes !
Les scribes étaient des spécialistes des Écritures. Ils devaient les interpréter et enseigner aux autres comment vivre selon les commandements de Dieu… pour le bien de tout le peuple. Mais si souvent leurs bottines ne suivaient pas leurs babines. Comme c’est souvent le cas, les gens en position d’autorité, chargés du maintien des institutions, finissent par mettre leurs propres intérêts avant le bien commun.
Voilà pourquoi ils ont Jésus à l’œil. Ce matin, nous nous retrouvons avec Jésus à Jérusalem, dans les derniers jours de sa vie. Il est pris dans un gros débat avec l’establishment religieux qui cherche désespérément à le faire arrêter. Ses idées révolutionnaires risquent d’ébranler l’ordre établi : « Prenez garde aux scribes qui tiennent à déambuler en grandes robes, à être salués sur les places publiques, à occuper les premiers sièges dans les synagogues et les premières places dans les dîners. Eux qui dévorent les biens des veuves et affectent de prier longuement… » (v. 38-40)
Qu’est-ce qu’ils enseignaient, ces scribes ? Que trouvaient-ils dans la loi de Dieu pour justifier leur mainmise sur les biens des veuves ? Leur mettaient-ils de la pression directe ou indirecte pour qu’elles fassent de grosses offrandes au temple ? Pourquoi attachent-ils tant d’importance à un bâtiment qui, de toute façon, finira un jour par s’écrouler (Marc 13, 1-2) ? Et où trouvaient-ils l’argent nécessaire pour tous ces beaux habits et ces dîners somptueux ? Étaient-ils comme les vendeurs d’indulgences au seizième siècle ou les télé-évangélistes des temps modernes promettant des faveurs… et même des miracles en échange de tout don 25 $ ou plus par mois ?
Ce sont des scribes. Ils connaissaient les Écritures. Ils auraient dû savoir ce qui est écrit dans la loi. En réponse à tout ce que Dieu a fait pour son peuple, pour tout ce que Dieu lui accorde dans sa bonté et sa miséricorde, les gens sont appelés à présenter leurs offrandes à Dieu : les prémices, la dîme. Les prémices, c’est la première partie. Dans l’action de grâce, nous sommes appelés à offrir la première partie de ce que nous avons… pas notre dernière cenne. La loi de Dieu ne contraint pas les gens à vivre dans la mendicité et dans l’insécurité alimentaire… encore moins à donner tout ce qu’ils ont pour vivre. Au contraire ! Une partie des dons doit soutenir les veuves et les orphelins. Le système religieux doit soutenir les pauvres et non l’inverse. Prenez garde à tout système religieux qui dépouille les gens au point où il ne leur reste plus qu’à mourir. (Dans la version originale grecque de l’Évangile d’aujourd’hui le texte nous dit que la veuve a donné sa vie).
Ce qu’il faut voir dans l’offrande de la veuve, me semble-t-il, c’est qu’elle préfigure, elle évoque le don que Jésus s’apprête à faire. Ici, c’est la veuve et non les religieux qui est signe du Christ.
C’est ainsi que notre vie doit imiter celle de la veuve… en étant signe de la vie du Christ, lui qui s’est donné pour nous, lui qui s’est dépouillé lui-même pour nous sortir des aberrations systémiques qui permettent aux riches de se pavaner dans l’opulence alors que d’autres vivent… et meurent… dans l’indigence la plus totale.
Un autre monde n’est pas seulement possible. Il est accessible à tous ceux et celles qui refusent de tomber dans le piège des gens qui se comportent comme des scribes, manipulant la loi à leur propre avantage plutôt que pour le bien commun.
Comment est-ce que notre vie est signe du Christ ? À quels sacrifices sommes-nous prêts pour le bien commun ? À quelle vie sommes-nous prêts à renoncer afin que le plus grand nombre – aujourd’hui, demain et après demain – ait accès à une vie nouvelle ?
Tout à coup je vois l’offrande de la veuve sous un autre jour. Elle n’a pas donné grand-chose…deux pièces de monnaie. C’était ce qu’elle avait pour vivre. Son offrande, c’est ce qui la faisait vivre. Et nous, qu’est-ce qui nous fait vivre ? Comment en offrir une partie de sorte que notre vie pointe vers Jésus, indique qu’il nous ouvre le chemin vers la vie en abondance pour la création tout entière. Ça n’a pas besoin d’être grand-chose. Ce qui pèse dans la balance, ce n’est pas le nombre de zéros sur notre chèque mais bien le degré auquel, par la grâce de Dieu, les dons de notre vie sont signes du Christ.
L’avez-vous vu entré au temple, la pauvre veuve ? Le nouveau diplômé qui n’avait pas encore déniché son premier boulot dans son domaine ? La mère monoparentale qui craignait que ces enfants dérangent ? La jeune femme qui ne savait pas si c’était correct de se présenter au temple en jeans ? Le couple qui était mal à l’aise parce qu’il ne savait pas trop quoi faire et quoi ne pas faire pendant le culte ? Comme la veuve, ils étaient fort probablement toutes et tous un peu gênés. Et ils avaient fort probablement des choses à nous révéler sur Dieu, sur le monde actuel et sur le monde à venir. Chacun-e a une contribution importante à faire au bien commun… beaucoup plus que les scribes avec leurs prières aussi longues et ostentatoires que leurs robes.
Comme communauté de foi n’avons-nous parfois l’impression que notre contribution au bien commun… insuffisante… voire insignifiante ? L’establishment religieux de notre époque ne nous envoie-t-il pas souvent le message que les communautés riches et influentes ont plus de valeurs que celles qui sont plutôt pauvres et fragiles ?
Ce matin, Jésus nous dit, « Regardez cette personne qui essaie de se faire le plus discrète possible. N’ayez pas honte de vous présenter au temple tels que vous êtes et d’offrir les dons ce que vous avez reçus gratuitement du Seigneur, ce qui vous fait vivre. Même la plus petite offrande peut, par sa grâce, contribuer au bien commun, à l’avènement de ce monde nouveau pour lequel Jésus a donné sa vie. » Ainsi soit-il. Amen.
LECTURES BIBLIQUES
Un commentaire