Les textes de ce matin nous mettent face à une problématique à laquelle personne n’échappe : celle de l’offense, du pardon et de la réconciliation. Nous nous y heurtons sur le plan individuel aussi bien que familial ou sociétal.
Notre première lecture, celle de Genèse 50, nous parle d’une famille dysfonctionnelle. L’adjectif apparaît malheureusement de plus en plus ; il s’applique surtout à des familles, mais aussi à des sociétés et même des groupes religieux. Si le mot semble relativement nouveau, il décrit une condition humaine aussi vieille que la nuit des temps. Pour en remonter la trace, il faudrait remonter au tout début et aller jusqu’à la Genèse. Lisez donc les chapitres qui ont précédé celui de ce matin et vous m’en direz des nouvelles !
Quelle famille dysfonctionnelle que celle d’Abram, Sarah et Agar, qui a contaminé la génération qui a suivi, celle d’Isaac et d’Ismaël, et a continué avec leurs enfants Joseph et ses frères ! La saga de notre famille spirituelle, celle des enfants d’Abraham, est peut-être la saga de nos familles d’aujourd’hui, ne nous en cachons pas. La famille de Joseph et ses frères, pour dysfonctionnelle qu’elle soit, nous présente une scène qui, je l’espère ne nous laisse pas indifférents. C’est une scène profondément émouvante, une scène de pardon et de réconciliation.
Le pardon et la réconciliation. C’est souvent ici que le bât blesse. Qui, ici, n’y a jamais été confronté ? Qui, ici, n’y est pas confronté, peut-être en ce moment bien précis ?
Il n’y a pas d’avenir sans pardon, c’est le titre du livre « No future without forgiveness » de Desmond Tutu. Le pardon est une condition sine qua non pour la préservation d’une communauté, aussi petite qu’un couple et aussi grande qu’un nation toute entière. Desmond Tutu en sait quelque chose, lui qui était à la tête de la Commission Vérité et Réconciliation, en Afrique du Sud, juste au lendemain de la défaite de l’apartheid. Ce fut un pari audacieux et inspiré de l’Esprit de Dieu qui a évité des règlements de compte sanguinaires. Il a permis la guérison de blessures trop profondes et trop intimes pour un système judiciaire ou pénal de rétribution et de châtiment, plutôt que de réconciliation et de restauration.
Le pardon n’est pas chose facile. Le pardon est traumatisant. Le pardon n’est pas pour les faibles. Le pardon ne signifie pas l’oubli. Il coûte.
Il a coûté à Desmond Tutu des larmes amères lorsque lui même s’est trouvé face à face avec quelqu’un qui avait commis contre lui et contre sa famille l’impardonnable, mais qui venait en public avouer son forfait et lui demander pardon, à lui le président du tribunal !
L’archevêque éclata en sanglots puis se leva et embrassa celui à qui il venait de pardonner. « Comment pouvais-je », racontait-il par la suite, « ne pas pardonner ? Mais mon Dieu, combien c’était difficile et en même temps libérateur, pour moi ! ».
L’Evangile de ce jour parle de pardon, de la nécessité de pardonner, du devoir de pardonner non pas sept fois, ce qui est déjà méritoire mais SOIXANTE DIX FOIS SEPT FOIS, ce qui est parfait et parfaitement impossible à vue humaine. Et alors ?
Dieu nous appelle à des choses impossibles et nous en donne la force jour après jour. En fait plus nous pardonnons, plus nous devenons capables de pardonner. Avoir un cœur qui pardonne, certes, c’est une grâce qui nous est donné par Dieu mais aussi un acte volontaire, une disposition d’esprit à cultiver au point d’en faire un mode de vie, presque une réaction « naturelle ».
L’art de pardonner, un peu comme l’art d’aimer, devient une discipline, une habitude salutaire à pratiquer et à développer tout comme les athlètes de haut niveau s’astreignent à s’entraîner.
La rancune que nous portons, le sentiment de culpabilité que nous traînons, le désir de revanche et le refus du pardon, tout cela nous consume, nous dévore comme un feu intérieur et pèse d’un poids cruel tant sur notre système cardio-vasculaire que sur notre conscience. Libérons-nous en, en en libérant les autres !
C’est l’encouragement, la promesse et le commandement qui nous sont donnés. Et c’est une merveilleuse bonne nouvelle qui rend tout, ou presque tout, possible.
Pardonner et pardonner de tout notre cœur, remettre aux autres les torts qu’ils nous ont faits et leur montrer de la miséricorde, comme le font les enfants et comme nous le leur faisons : voilà l’essentiel de l’enseignement de Jésus. Voilà qui nous ramène au tout début du chapitre et au début du culte de ce matin.
Ecoute qui a des oreilles. Amen !
Samuel V. Dansokho
Eglise unie St Pierre et Pinguet
Québec le 14 septembre 2014
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