…là où nous voyons naturellement une faute à condamner et à punir,
Dieu, lui, voit tout d’abord une détresse à secourir.[1]
Éloi Leclerc, franciscain
Les textes bibliques qui parsèment notre culte aujourd’hui sont tirés des schémas de prière et de réflexion proposés par l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) au gré des saisons. Ces portions des Écritures saintes sont souvent de courts extraits de textes familiers, des collages qui prennent un relief particulier lorsqu’ils sont lus en toile de fond des enjeux des droits de la personne, et spécialement des personnes emprisonnées, condamnées à mort voire torturées.
« Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. » Article 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme |
Souvenez-vous de ceux qui sont maltraités, car vous aussi, vous avez un corps.[2] On ne peut dire les choses plus clairement, n’est-ce pas? Le devoir de mémoire de la condition des prisonniers et des personnes maltraitées nous associe à une même condition humaine. Aucun de nous ne souhaiterait demeurer 23 h sur 24 dans un espace exigu, insalubre, isolé, sujet à des vexations de tout ordre, mal nourri, frappé voire torturé et violé? La seule pensée de telles sévices me donne le frisson. Alors, comme d’instinct pour m’en protéger, spontanément, je change de sujet. Parlons d’autre chose… Sauf que les gens qui vivent cela ne peuvent simplement tourner la page. Ils y sont coincés, jours après jours, mois après mois et souvent années après années.
Souvenez-vous de ceux qui sont en prison, comme si vous étiez prisonniers avec eux.[3] Pour autant que je sache – et de toute façon on ne pose pas la question dans notre communauté – personne d’entre nous n’a vécu d’incarcération avec tout l’arbitraire et la dépossession de liberté et de dignité que cela implique. Les plus vieux parmi nous se souviennent bien sûr des arrestations sans mandat et des emprisonnements incommunicado survenus au Québec lors de ce qu’on nomme la crise d’Octobre il y a cinquante ans de cela, en 1970. Quelle que soit l’appréciation de ce moment de l’histoire de notre pays, l’envergure du geste et la non-imputabilité de l’État à l’égard des dérapages vécus alors ont constitué une flétrissure importante du sentiment de confiance dans nos institutions, et un rappel de la nécessaire vigilance citoyenne même dans un contexte démocratique autrement paisible.
En disciples du Christ que nous essayons d’être, nous nous réclamons de Jésus, lui-même victime d’arrestation arbitraire et accusé de complot contre la sécurité de l’État, emprisonné, torturé et exécuté brutalement; ne devrions-nous pas être d’instinct vigilants et critiques à l’égard de tout discours d’individus ou de groupes qui en démonisent d’autres? Dans bien des pays, au nom de la raison d’État, de la sécurité nationale, ou encore de la protection des valeurs, des hommes et des femmes sont incarcérés, torturés, exécutés. Et même les prisonniers dit de droit commun, sont susceptibles d’être victimes d’abus et de maltraitance.
La parabole de ce jour nous décrit un champ contaminé pendant que tout le monde dormait.[4] Notez bien, tout le monde! Le texte ne serait-il pas aussi un rappel que nous avons toutes et tous une part de responsabilité dans le désordre qui résulte, dans la prolifération du mal? Et cet ennemi[5] malfaisant qui pollue la récolte n’est-il pas aussi un peu beaucoup en nous-même? Il pourrait avoir nom indifférence, complaisance, négligence paresseuse, arrogance du pouvoir et de l’avoir? Il convient donc de demeurer vigilant à l’égard de nos propres œillères. Qu’est-ce qui est acceptable ou non? Qu’est-ce qui mérite une sanction ou une incarcération? Qu’est-ce qui est la bonne semence et la mauvaise herbe?
Le peuple de Dieu « institutionnel » a souvent perçu le champ du Seigneur comme son domaine propre, en se considérant comme propriétaire plutôt que gérant, ou ce qui aurait été encore plus adéquat, intendant. Les déclarations catégoriques des responsables ecclésiaux au fil des siècles, utilisaient les normes sociales, les cadres conceptuels et les présupposés de leur époque souvent sans aucune distance critique. En pratique les Églises ont obscurci le jaillissement vivant de l’Esprit pour trop souvent le remplacer par un code de prescriptions qui « garantissaient » le salut par le conformisme social. Remplir les obligations religieuses (comprendre rituelles) devenait alors la totalité de l’expérience. Et gare à ceux qui ne se conformaient pas…
N’enlevez pas la mauvaise herbe car en l’enlevant vous risqueriez d’arracher aussi le blé.
Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson.[6]
L’intention divine n’est pas confusion, il ne s’agit aucunement de tout laisser aller. Le mal est le mal. Mais dans le récit présent, il s’agit plutôt d’une invitation à rechercher la justice et à résister au mal mais dans l’humilité et la capacité critique à l’égard de soi-même. Et si j’étais aussi la mauvaise herbe sans intention consciente ni perverse? Considérons seulement le poids de notre participation à la société de consommation, la pression que fait subir à l’ensemble de la planète l’hémisphère nord qui exploite les ressources de manière insatiable et cause la pollution et les mutations climatiques qui affectent la santé de la majorité des vivants de notre monde.
L’ACAT invite les chrétiens à s’assembler pour s’informer, pour prier, et pour agir, (inspiré de la méthode dite de révision de vie : voir – juger |- agir[7]) un prisme simple et efficace pour que, comme Stéphane nous le proposait avec humour et vérité la semaine dernière, « nos bottines suivent nos babines ». À l’éclairage de la Parole et des faits, orienté par l’Esprit de vérité et de justice, notre prise de parole doit reposer sur le discernement et non les préjugés.
Souvenez-vous de ceux qui sont en prison, comme si vous étiez prisonniers avec eux.[8] Et ensemble, avec audace autant que délicatesse, annonçons l’Évangile par nos paroles et par nos actes de justice, de compassion et de solidarité. Amen.
Église Unie Saint-Pierre Dimanche de la communion mondiale / 4 octobre 2020
LECTURES BIBLIQUES
[1] Éloi Leclerc, franciscain, poète et philosophe Prier la Parole, janvier-février 2020, no 102, p. 12 Novalis
[2] Hébreux 13, 3b
[3] Hébreux 13. 3a
[4] Matthieu 13, 25
[5] Matthieu 13, 28
[6] Matthieu 13, 29-30a
[7] Ceci est une présentation actualisée de cette méthode; on doit cet excellent texte à Diane Gariépy, et il est disponible, avec d’autres ressources, sur le site Web du Réseau québécois pour la simplicité volontaire.
[8] Hébreux 13. 3a
2 commentaires
Mon révérend ! Coucou ! Mon bonjour à vous trois (et celui de Nathalie) et à la communauté de par che’vous, et aussi, mon compliment pour ta prédication. Comme je te reconnais, Denis, dans cette réflexion et ta prose !… T’as l’tour, et surtout je trouve ton invitation très juste et pertinente. Salut mon ami.
Mon bon souvenir à toi et aux tiens Pierre. Heureux de constater que le propos t’a rejoint. Je me réjouis que malgré le passage des ans nous continuions ensemble à être à l’écoute du Christ, essayant de vivre au mieux selon son Esprit, toujours par grâce seule. Sois béni sur ce chemin de foi et de solidarité.