En cette période estivale, temps des vacances, l’extrait de l’évangile de ce matin tombe à pic. Dans le contexte d’un déplacement routier, y est décrit un fait divers assez déprimant. Pourtant ce récit en apparence anecdotique s’avère bien plus éloquent que nombre de discours philosophiques ou d’exhortations morales. La parabole du bon Samaritain est en effet d’une portée universelle et elle a traversé les siècles sans prendre une ride, d’une pertinence inaltérable. Nous y retrouvons de manière éclatante l’expression d’une bienveillance généreuse et compatissante, d’une bonté simple traduite en actes : toutes les générations peuvent y observer sans se tromper la grandeur de ce qu’il y a de plus noble dans l’être humain, et cela que l’on soit croyant ou non.
Comme contexte de ce récit, la rencontre de Jésus avec un légiste, l’équivalent d’un bibliste et théologien contemporain, une rencontre qui a de quoi intimider tous les professionnels de la religion, moi en premier. Le savoir comme le pouvoir peuvent si facilement créer une enflure de la tête très souvent accompagnée d’une contraction du cœur voire d’une sclérose. Voilà une mise en garde salutaire contre toute vanité présomptueuse et spirituellement funeste, la démesure d’être maître en divinité même si le diplôme professionnel décerné par les séminaires en milieu anglo-saxon porte ce nom plutôt ronflant.
Jésus, à sa manière, est aussi un expert en religion, un maître, mais du genre maître de sagesse et non docteur de la loi. À noter qu’il ne récuse pas en soi l’étude et l’analyse des textes sacrés pour en arriver à la formulation de principes à même de guider les pensées et les comportements. Mais cette formation si utile soit-elle n’est qu’une partie du vécu religieux. Jésus, dans sa personne même, en incarne une autre, la plus fondamentale. Prédicateur itinérant, Jésus est sur la route, un homme en chemin, l’homme du chemin. La pointe de l’enseignement que Jésus propose c’est de lui emboîter le pas, de marcher à sa suite; il nous invite à le suivre, à cheminer comme lui et avec lui dans ce règne de Dieu qui est déjà là mais pas encore pour reprendre une expression en vogue lors de mes études en théologie.
Une méditation intégrée de la Bible, au souffle de l’Esprit, nous incite à sortir du prêt-à-porter, à quitter le confort de l’acquis pour marcher à la rencontre de ce qui ou de Celui qui vient à nous au quotidien, dans le banal comme l’inédit. L’Évangile est un appel à avancer avec foi, à se mouvoir dans l’amour, à être en chemin porté par l’espérance. Désirer prendre ainsi la route est déjà le premier pas qui nous dépose sur la voie du règne de Dieu, de la profondeur extraordinaire de l’ordinaire, dans l’imprévisible hors des normes, dans l’étonnement. C’est dans ce climat de déplacement, d’instabilité apparente, que les doctrines passent, pour ainsi dire, de la lettre à l’Esprit, de notions apprises à révélations vécues dans l’immédiat des circonstances qui permettent de discerner, en situation, la vérité profonde des Écritures, ce qui est évoqué poétiquement au livre des Psaumes : La loi du SEIGNEUR est parfaite, elle rend la vie ; la charte du SEIGNEUR est sûre, elle rend sage le simple. Les préceptes du SEIGNEUR sont droits, ils rendent joyeux le cœur ; le commandement du SEIGNEUR est limpide, il rend clairvoyant.[1]
Le légiste de l’histoire pose des questions d’érudition biblique et théologique pour mettre Jésus à l’épreuve[2]. Il tente ainsi de montrer sa justice[3], qu’il fait reposer sur ses connaissances. Il est semblable en cela au prêtre et au lévite de la parabole : tout absorbé dans sa tête par la religion de doctrine et le service de l’institution, il passe à côté du Sacré qui fait irruption sur le chemin du quotidien, alors dans la rencontre de Jésus lui qui est justice divine pour nous[4]. Il est prisonnier de la lettre d’un savoir qui finit par isoler de la vie réelle, captif de ses certitudes pour trouver sa sécurité, au point même d’étouffer l’élan de son cœur que l’enseignement avait pour objectif de dilater à la grandeur de l’amour divin. Lequel s’est montré le prochain…celui qui a fait preuve de bonté… va, fais de même.[5] C’est par un hérétique métissé et marginalisé que le règne de Dieu est manifesté, vérité que l’adoration est indissociable de la compassion, fais cela et tu auras la vie[6].
Ce message est universel et ne repose pas sur la valeur de quiconque, mais s’impose plutôt à toute personne qui humblement l’admet. Cela peut venir de partout de façon improbable, extraordinaire. Un des accusés des attentats du 13 novembre 2015 en France a eu pour derniers mots avant de recevoir sa sentence : « On n’a pas besoin de partager une religion, une langue ou des traditions pour savoir ce que c’est de perdre un proche. [7]» Parcourir le chemin à la manière du Samaritain est le commun dénominateur des humains : c’est aussi celui de Dieu et de son royaume. Emboîtons le pas à Jésus car il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute la plénitude et de tout réconcilier par lui et pour lui, et sur la terre et dans les cieux, ayant établi la paix par le sang de sa croix[8]. Amen.
LECTURES BIBLIQUES
[1] Psaume 19,8-9
[2] Luc 10,25
[3] Luc 10,29
[4] Selon Colossiens 1,20
[5] Luc 10,36-37
[6] Luc 10,28
[7] Journal Libération, 29 juin 2022, p.4
[8] Colossiens 1,19-20
2 commentaires
Merci Dénis. Ta prédication me rejoint profondément. Tu y abordes les thèmes de la bienveillance généreuse et de la compassion qui sont au cœur de la vie de Jésus. Cela nourrit ma foi chrétienne et je prends conscience en te lisant, que le culte et les prédications me manquent beaucoup. Je dois reprendre cette pratique, insomnie ou pas.
Merci encore et à bientôt, j’espère.
Jocelyne
Merci Jocelyne de nous partager cette expérience quant au bénéfice du culte et de la méditation de la Parole en communauté. Le rassemblement en personne est l’occasion de refaire le plein d’énergie, en proximité les unes les uns avec les autres, de partager nos dons et nos talents et de nous encourager mutuellement à poursuivre notre avancée sur le chemin. Par moment, pour diverses raisons, il peut être plus difficile de se joindre au rassemblement; mais comme ces amitiés de longue date qui ne s’émoussent pas, lorsqu’on revient à la communauté on s’y sent immédiatement chez-soi, car nous demeurons toujours proches par la pointe du cœur, l’Esprit de Jésus, notre unité. Au plaisir de nous y retrouver ensemble bientôt.
Denis