Les récoltes ont commencé, et les produits frais d’ici sont disponibles. Malgré les chamboulements climatiques et les perturbations majeures qu’ils causent, la sagesse de la nature continue d’affirmer sa souveraineté selon l’ordre du monde et le dessein sacré : comme descend la pluie ou la neige, du haut des cieux, et comme elle ne retourne pas là-haut sans avoir saturé la terre, sans l’avoir fait enfanter et bourgeonner, sans avoir donné semence au semeur et nourriture à celui qui mange…[1] Oui, nous avons à manger grâce au travail des agriculteurs et agricultrices, et aussi de tous ces travailleurs migrants temporaires, si souvent victimes d’injustice et d’exploitation alors qu’ils permettent que ces denrées nous parviennent en quantité et encore pour l’instant à un coût accessible. Mais, comme les bulletins d’information des derniers jours ne l’illustrent que trop bien, les retombées empoisonnées d’un développement industriel en rupture avec la biosphère et les vivants dont nous sommes s’accentuent outrageusement et perturbent ce que jusqu’à pas si longtemps nous considérions comme acquis.
Contrastant avec le déploiement de l’activité humaine enivrée de technologie dans une consommation compulsive cherchant le bonheur terrestre (mais à quel prix?), les mots du prophète esquissent un nouveau sens possible, cette fois-ci chargé de mise en garde : C’est que vos pensées ne sont pas mes pensées et mes chemins ne sont pas vos chemins – oracle du SEIGNEUR. C’est que les cieux sont hauts, par rapport à la terre : ainsi mes chemins sont hauts, par rapport à vos chemins, et mes pensées, par rapport à vos pensées.[2]
Au cours des dernières heures ma méditation des extraits d’Ésaïe et de Matthieu lus tout à l’heure a pris au cours des dernières heures un chemin inattendu. Ésaïe déclare que : ainsi se comporte ma parole du moment qu’elle sort de ma bouche : elle ne retourne pas vers moi sans résultat, sans avoir exécuté ce qui me plaît et fait aboutir ce pour quoi je l’avais envoyée.[3] Pour les disciples que nous sommes, toutes les paroles sacrées culminent dans le Christ, l’expression du cœur de Dieu dans une vie humaine et le chemin qui conduit à en faire l’expérience en nous. Ce matin, Jésus sortit de la maison et s’assit au bord de la mer.[4] Il quitte une demeure fabriquée par le savoir-faire humain (technique artisanale) et va en bordure de l’eau, là où la terre, la mer, le ciel se rejoignent. C’est essentiellement dans le contexte de la nature, du cosmos, que l’enseignement sacré déploie toute sa grandeur et sa signification. Jésus est assis (la posture classique du maître qui enseigne), il fait autorité par son propos et non en s’élevant pour dominer l’assemblée. Et face à la foule nombreuse il monta dans une barque où il s’assit… [5] Même en utilisant l’outil de la barque Jésus demeure assis; l’instrument est au service de la nature, flotte sur l’eau, comme un siège-trône où l’autorité de la vie est manifestée. Enfin Jésus leur dit beaucoup de choses en paraboles…[6] , une quantité d’histoires mais aussi la grande capacité d’évocation de ses paroles, de pistes possibles pour les auditeurs, toutefois proportionnelles à leur disposition, à leur réceptivité.
Ce récit parle bien sûr du semeur divin qu’est Jésus, transmission de la Parole qui vient à notre rencontre, qui sème dans la surabondance sans calcul ni restriction. Cela nous dit quelque chose d’important sur Dieu et l’ordre du monde à l’égard de l’existence : le manque, la pénurie sont le plus souvent des conséquences résultant des méfaits humains (famine des guerres, convoitises, hausse des prix gonflés artificiellement, etc.) et aucunement l’intention divine pour sa création. Avoir et savoir sont au service de la vie, et non pour l’asservir.
Dieu fait tout. La semence est d’une certaine manière comme un atome, le fondement qui contient tout le potentiel à actualiser, « dans le pépin le pommier ». Mais encore faut-il l’accueillir dans un sol qui convient. Le développement de la semence, c’est aussi l’histoire, la terre, le sol de notre existence. La distinction des sols où tombe la semence est une façon d’illustrer les attitudes des auditeurs de cette proclamation, bien sûr lors du tout premier contact avec l’Évangile. Cependant, chacun de nous ressent bien que, selon les époques de sa vie, tour-à-tour, nous sommes aussi ces différents sols. Ce qui est permanent c’est l’impermanence. Notre ouverture à Dieu connaît des fluctuations au fil des jours, des mois, des années. Nos raisons de croire et la manière de le vivre aujourd’hui sont, selon toute vraisemblance, bien différentes de ce qu’elles étaient il y a 10, 25 ou 45 ans.
L’explication du sens de la parabole offerte par Jésus est claire et je ne saurais y ajouter. C’est l’urgence climatique manifestée autour de nous dans les dernières semaines, et particulièrement dans les derniers jours, qui m’amène à discerner une portée nouvelle à la parabole : individuellement et collectivement quel accueil donnons-nous à l’interpellation portée par ces évènements qui en disent long sur l’état du monde et comment répondrons-nous? Le déficit spirituel de l’humanité n’est-il pas à la racine du genre de développement et d’exploitation du monde qui résultent dans la situation précaire de notre maison commune, notre planète?
Au cours des prochains jours, sortons de nos habitations pour nous rendre sur la rive, au sens propre ou figuré. Là les dires de Jésus résonneront de toute la portée cosmique de la Parole sacrée du Créateur. Plus que jamais, animés par le souffle de son Esprit, il convient de faire au mieux pour enlever ce qui fait obstacle en nous et autour de nous à la semence. Et Dieu réalisera son dessein. Avec Thérèse d’Avila prions avec une humble confiance : « Donne-nous Père, ce qui nous convient. »[7] Entende qui a des oreilles[8]. Amen.
LECTURES BIBLIQUES
Image : Tableau de Vincent Van Goh – Le semeur au soleil couchant https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Van_Gogh_-_S%C3%A4mann_bei_untergehender_Sonne.jpeg
[1] Ésaïe 55,10
[2] Ésaïe 55,8-9
[3] Ésaïe 55,11
[4] Matthieu 13,1
[5] Matthieu 13,2
[6] Matthieu 13,3
[7] « Donne-nous Père, ce qui nous convient. » Cette courte supplique est de Thérèse d’Avila, religieuse carmélite espagnole du 16e siècle et mystique, déclarée sainte en 1622 par l’Église romaine puis, fait unique dans l’histoire de l’Occident chrétien, docteure de l’Église en 1970. C’était aussi une réformatrice des monastères de sa communauté.
[8] Matthieu 13,9
2 commentaires
Gratitudes pour cet enseignement sur le Semeur!
Paix en soi, Paix dans le monde
Merci ! De beaux et bons moments sur le rivage…
« Heureux ceux qui écoutent ce que Dieu dit et le mettent en pratique ! » Évangile de Luc, chapitre11, verset 28.