On traduit souvent la phrase en Mohawk sur l’écusson de l’Église Unie par « tous unis » ou « toutes mes relations » C’est une phrase qui évoque les liens qui unissent toutes les créatures, une phrase qui fait écho à cette ligne de notre confession de foi : « Nous sommes appelés… à vivre avec respect dans la création ». Nous sommes appelés à cultiver des relations respectueuses avec toute la création et, je dirais, particulièrement avec tout ce qui a le souffle de vie (Genèse 1,30). Si nous le répétons souvent, c’est peut-être parce que les humains oublient si souvent l’appel à vivre en créatures faites à l’image et à la ressemblance de Dieu, qui avant toutes choses est le Dieu des relations aimantes et vivifiantes.
On oublie souvent… mais on commence à en être conscients aussi. Combien d’entre vous ont ressenti un certain malaise pendant les lectures de ce matin ? « Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la. » (Genèse 1, 28) Jésus dit « Allez donc : de toutes les nations faites des disciples… » (Matthieu 28, 19). Voilà deux versets qui me donnent envie de regarder ailleurs quand vient le temps de choisir des extraits bibliques pour une prédication. Au fil des siècles, ces deux versets – et bien d’autres – ont été utilisés pour justifier l’injustifiable. Il n’est pas surprenant que ces versets nous dérangent, qu’on ait envie de les fuir. Mais fuir ce qui nous dérange, détourner le regard de que l’on préférerait ne pas voir, ne pas reconnaitre le pouvoir qu’on a entre les mains, c’est abdiquer – et ultimement abuser – de notre pouvoir. Quand quelque chose nous dérange, il ne faut pas se mettre la tête dans le sable. Il faut dealer avec… pour la gloire de Dieu et le salut du monde.
Donc, prenons un grand respire… et plongeons ! Commençons au commencement ! Que dire de ces impératifs : « remplissez la terre, dominez-la. » (Genèse 1, 28) Nul doute, l’être humain reçoit l’ordre de dominer la terre. Mais l’être humain qui est fait à l’image et à la ressemblance de Dieu doit dominer (régner, en fait) à la manière de Dieu. Et Dieu regarde tout ce qu’il a créé et constate : « Voilà ! C’est très bon ». Si Dieu dit que quelqu’un ou quelque chose est bon… qui sommes-nous pour le contredire ?
À nous, tous les humains créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, de regarder l’ensemble de la création – dans toute sa diversité – et de le voir comme Dieu le voit. « Voilà, c’est très bon ! » À partir de ce constat, il devient plus difficile, me semble-t-il, d’exploiter, d’exterminer, d’opprimer quoi que ce soit, qui que ce soit.
Revenons maintenant à cette fameuse phrase « Dominez la terre. » Il ne faut pas lire ce verset hors contexte. Plus précisément, il faut la lire à la lumière du deuxième récit de la création. La première lecture de ce matin s’est terminée au milieu du 4e verset du 2e chapitre de la Genèse. Écoutez la suite : « 4Telle est la naissance du ciel et de la terre lors de leur création. Le jour où le SEIGNEUR Dieu fit la terre et le ciel, 5il n’y avait encore sur la terre aucun arbuste des champs, et aucune herbe des champs n’avait encore germé, car le SEIGNEUR Dieu n’avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n’y avait pas d’être humain pour cultiver le sol. » L’être humain a été créé pour cultiver le sol. Et là, il n’est pas question de l’agriculture industrialisée telle qu’on la connait aujourd’hui, au contraire ! Le verbe hébreu `abad signifie servir. La même racine nous donne les termes serviteur et même esclave ailleurs dans les Écritures. L’être humain a été créé pour servir la terre… non pas pour se servir de la terre pour satisfaire ses moindres caprices.
Tout à coup, on voit l’appel à dominer la terre sous un autre jour. Les êtres humains reçoivent l’ordre de dominer – de régner, en fait – à la manière de Dieu. Et la manière de Dieu, c’est la manière de Jésus… Jésus qui est venu non pas pour être servi, mais pour servir et pour donner sa vie pour que d’autres aient la vie en abondance (Jean 10, 10).
C’est vrai que l’être humain peut abuser du pouvoir qu’il a entre les mains, il peut s’en servir pour satisfaire ses moindres caprices. Je n’ai pas besoin de vous faire un dessin. Mais les êtres humains sont capables de bâtir des relations justes et vivifiantes. Là non plus, je n’ai pas besoin de vous faire des dessins. J’en suis persuadée. Les êtres humains sont capables faire des sacrifices pour le bien commun, capables de se passer de certains conforts, de certaines commodités, de certains privilèges pour servir la Terre et les vivants. Je pense à la créativité d’une petite famille dont il était question dans un reportage sur le site de Radio Canada ce matin même. Cette créativité que nous avons toutes et tous en nous, c’est un reflet de l’image de Dieu en nous, me semble-t-il. C’est l’image de Dieu qui est venu en Jésus. Jésus ne s’est jamais servi du pouvoir qu’il avait entre les mains pour se hisser au-dessus des autres (voir, par exemple Philippiens 2, 5-7). Jésus s’est servi de son pour relever les autres… pour les libérer de toute forme discrimination… de toute oppression. Jésus n’a pas utilisé son pouvoir pour s’imposer. Ses paroles et ses gestes ont toujours servi à inclure les exclus, à faire entendre la voix des sans voix, à toucher les intouchables. Jésus a utilisé le pouvoir qui lui avait été donné pour bâtir des relations justes, pour créer une communauté radicalement inclusive et aimante. C’est avec tout cela en tête qu’il faut interpréter l’appel à faire des disciples de toutes les nations.
À une époque où on s’interrogeait sur la place des non-juifs dans la communauté chrétienne, l’Évangile de Matthieu insiste pour dire que toutes et tous sont les bienvenus dans la communauté des disciples – sans égard pour leur origine ethnique, leur statut social ou quelque trait identitaire ou caracteristique que ce soit. L’Évangile de Matthieu se termine par une invitation à bâtir une communauté inclusive et non par l’autorisation à pratiquer un prosélytisme coercitif… ou à procéder à l’assimilation systématique de populations entières.
Revenons à ce que Jésus dit à ses disciples. Il dit « enseignez aux gens à pratiquer ce que j’ai enseigné. » En fait, une traduction libre – mais assez proche du grec – donnerait quelque chose du style : « Poursuivez le chemin que je vous ai tracé. Suivez mon exemple, mes instructions et enseigner à d’autres – sans égards pour leur origine et ou leur identité – à en faire autant. La première préoccupation de Jésus n’est pas de faire des membres et des adhérents. Jésus nous demande de faire des disciples, des gens qui suivent son instruction et son exemple et vivent comme il a vécu… au service de la Terre et de toutes ses créatures.
Vivre au service de la Terre et de toutes ses créatures, c’est cela être créé à l’image et à la ressemblance de Dieu qui est venu en Jésus. Voilà la volonté de Dieu pour tous les humains, me semble-t-il. Jésus nous a montré – par sa vie, sa mort, et sa résurrection – qu’il est tout à fait humainement possible de vivre selon la volonté de Dieu. Et par la grâce de Dieu, l’Esprit nous est donné afin que nous aussi, nous vivions comme le Christ a vécu. Notre baptême est le signe extérieur et visible de cette grâce intérieure et invisible. Nous sommes des disciples crées à l’image et à la ressemblance du Christ. Comme lui, nous sommes capables de Dieu. Allons dans le monde. Par la grâce de Dieu, utilisons le pouvoir qui nous a été donné pour transformer le monde selon le dessein éternel de Dieu. Amen.
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