« C’est le Seigneur » (Jean 21 7) P.-A. Martini, sculpt. (Photo : P.-A.G.)
« Lorsque la foule eut constaté que ni Jésus ni ses disciples ne se trouvaient là, les gens montèrent dans les barques et s’en allèrent à Capharnaüm, à la recherche de Jésus. » (Jean 6 24-25)
C’est donc ainsi que débute la lecture que nous venons d’entendre. « À la recherche de Jésus ». Voici des gens venus des villages voisins du lieu où Jésus a multiplié les pains[1], d’autres accourus d’aussi loin que Tibériade. Et les voilà tous traversant le lac à leur tour, convergeant vers Capharnaüm, « à la recherche de Jésus ».
Comment expliquer la puissance d’attraction qu’il exerçait sur ceux que l’évangéliste désigne comme « la foule », « les gens », pour bien faire comprendre que cette attirance, cette fascination, ne concerne pas que quelques privilégiés? Comment expliquer que constatant sa disparition, au lieu de rentrer chez eux déçus, ils se soient mis en frais de se mettre à sa recherche jusqu’à s’éloigner de l’autre côté du lac?
Je pense qu’ils n’avaient jamais connu une personne aussi libre. Libre même face à eux : il venait tout juste de fuir leur enthousiasme en soupçonnant qu’ils voudraient en faire un roi. Il avait choisi de disparaître dans la montagne[2]. Même ses disciples ne comprenaient pas pourquoi il ne cultivait pas sa popularité. Ni son image. Il fuyait les plateaux de télévision et ne prenait pas d’égoportraits. Il était à son affaire, qui concernait ce qu’il appelait « les affaires de son Père », comme il l’aurait dit, à douze ans, à ses parents qui avaient été les tout premiers à le chercher[3].
Les extraits de la Bible inspirant cette réflexion sont donnés à la toute fin de la prédication. Vous pouvez cliquer sur les liens pour lire les extraits. |
Je pense que les gens étaient ébranlés en découvrant qu’on pouvait être aussi libre. Aussi affranchi des conventions et des règles. Aussi droit et aussi cohérent. Alors forcément, cela venait éveiller ou aviver chez plusieurs un désir. Le désir d’être meilleur. Le désir d’être vrai, que nous éprouvons tous et toutes quand nous sommes en contact avec le meilleur de nous-mêmes.
Il avait son franc-parler. Il ne savait pas la langue de bois. Il était allergique à la rectitude politique. Il savait réconforter, mais il savait aussi choquer. Il se permettait aussi bien de dire aux uns « Tes péchés sont pardonnés[4] » qu’à d’autres « Race de vipères! Bande d’hypocrites![5] » Ce qu’il disait faisait du bien à entendre, même et peut-être surtout quand il disait leurs quatre vérités à ceux qui n’avaient à la bouche que règles contraignantes et condamnation.
Et puis, lui voyait le divin partout, et d’abord là où on ne le pensait pas le trouver. Alors qu’à la synagogue les scribes enseignaient l’importance de la loi religieuse et de la tradition des anciens, celle du pur et de l’impur, par exemple, celle du permis et du défendu, alors que les plus pieux d’entre eux s’efforçaient admirablement d’ajuster leur vie quotidienne à ces préceptes sacrés dans leur alimentation, dans leur habillement, dans leurs fréquentations, dans leur emploi du temps le jour du shabbat, lui, sans rien renier de tout cela, c’est d’abord dans l’ordinaire qu’il voyait le divin. Il aimait se tenir en compagnie de ceux que les religieux conseillaient d’éviter[6]. Il admirait leur générosité, leur absence de prétention, leur spontanéité[7]. Il faisait voir du divin dans le geste répétitif d’un semeur[8]. Dans celui, routinier, d’une ménagère qui prépare le pain[9], ou dans le souci qu’un étranger se faisait pour son serviteur gravement malade[10] ou pour un blessé le long du chemin[11]. Les fleurs, les oiseaux[12], le vent[13], tout lui parlait du divin.
Alors d’un homme comme ça, plusieurs avaient le goût d’être proches. Enfin, quelqu’un qui ne fait pas que flatter, qui n’est pas obsédé par la crainte de déplaire et de choquer. Quelqu’un qui dégage de l’amour et du respect, de la solidarité et de la compassion. Quelqu’un qui, par sa simplicité, fait sentir que cette manière d’être n’est pas inaccessible, qu’elle n’est pas réservée à quelques rares initiés.
Alors oui, cet homme qui ne tient pas en place, qui va de village en village, à pied ou en barque, cet homme, on le cherche tout le temps. À l’observer, à l’écouter, on se sent l’envie d’aimer la vie. D’aimer les gens. De s’aimer soi-même.
Vivre comme lui, c’est exigeant. Mais loin d’être imposée de l’extérieur, c’est une exigence qui monte de l’intérieur même de la personne. Et elle rend noble tout ce qu’on fait : fabriquer et donner des vêtements, faire à manger et servir à table, puiser de l’eau ou fabriquer du vin et en verser, s’occuper des malades, sourire aux immigrants ou faciliter le séjour des touristes, et cela peut même aller jusqu’à apporter parfois du réconfort aux malfaiteurs dont on a honte et qui sont isolés dans les centres de détention[14].
À l’école de Jésus, la vie la plus simple est comme vécue avec Dieu. Mieux : c’est comme une vie que Dieu vient vivre avec nous.
Découvrir cela, c’est avoir découvert l’essentiel. C’est bon comme du bon pain. C’est bon chaque jour. Comme l’était la manne que les ancêtres auraient recueillie, dit-on, chaque matin, en se disant, toujours étonnés : « Man hou? Qu’est-ce que c’est? » Ils ont manqué de bien des choses au désert, mais ceux qui savaient voir n’ont jamais manqué de l’essentiel. « L’Éternel est mon berger : rien ne me manque »[15].
« Lorsque la foule eut constaté que ni Jésus ni ses disciples ne se trouvaient là, les gens montèrent dans les barques et s’en allèrent à Capharnaüm, à la recherche de Jésus. » À notre tour, ce matin, chaque matin, nous pouvons prendre contact avec le divin qui est là, dans notre quotidien. Et faire nôtre cette prière très ancienne et toujours pleine de sens : « Seigneur, que ceux et celles qui te cherchent te trouvent, et que ceux et celles qui t’ont trouvé ne cessent jamais de te chercher. » Amen.
LECTURES BIBLIQUES
[1] Jean 6 1-15.
[2] Jean 6 15.
[3] Luc 2 48-49.
[4] Marc 2 5.
[5] Matthieu 23 .
[6] Marc 2 13-17.
[7] Luc 7 44-48.
[8] Marc 4 3-8.
[9] Matthieu 13 33.
[10] Luc 7 9.
[11] Luc 10 30-37.
[12] Matthieu 6 25-32.
[13] Jean 3 8.
[14] Matthieu 25 35-40.
[15] Psaume 23 1.
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