Une aurore boréale au-dessus de nos déserts

Église Unie St-Pierre et Pinguet https://www.stpierrepinguet.org/wp

« Bon dimanche de la paix ! » Et là, après avoir prononcé cette parole de joie, je regarde chacun de vous, un peu curieux d’observer votre réaction… Et vous, vous pouvez observer la mienne. Voyez-vous le petit sourire à mon visage, entendez-vous cette touche d’ironie dans ma voix ? « Bon dimanche de la paix… » Les faits d’actualité qui secouent notre monde ainsi que nos communautés semblent parler d’eux-mêmes. Impossible pour nous de nous détourner de cette malheureuse situation qui, jour après jour, semble se complexifier autant en Ukraine qu’en Terre sainte.

Les tragédies qui se déroulent à l’autre bout de la Terre – si ce n’est pas pour dire plutôt aux quatre coins du monde – nous touchent droit au cœur. Elles nous perturbent non pas seulement parce que le sang des enfants de Dieu se répand à tout vent, mais surtout – à mon avis – parce qu’elles nous renvoient à une vérité fort cruelle : nous prenons de nouveau conscience que nous vivons dans un monde fracturé. Lorsque nous nous rassemblons le dimanche, nous sommes plus qu’heureux de remercier Dieu pour ce monde si beau. Nous parlons d’amour, nous bénissons le Seigneur pour ses merveilles… mais peut-être au risque, en fait, de mettre de côté ce qui nous déplaît. Même moi, je centre souvent mes prières sur ma vie présente, mes proches, ma vie en Église. Ainsi, peut-être inconsciemment, je prie dans ce petit écosystème pour éviter de voir le monde dans ses parts d’ombre. Ça fait mal – je l’admets volontiers – de voir que l’humanité n’a pas seulement du beau et que la paix et la fraternité tiennent à un fil de pendu.

Pardonnez-moi d’être aussi personnel sur les défis de ma vie de prière. Toutefois, s’il nous est possible de tirer un peu d’espérance au milieu des épreuves qui touchent notre monde, je suis persuadé que ce sera à travers le témoignage de croyants qui nous ont précédés. Nos ancêtres familiaux ou spirituels étaient eux aussi impuissants devant le mal et cherchaient en Dieu leur délivrance. Ceux-ci employèrent le langage humain et s’inspirèrent entre-autre de la nature pour illustrer leur espérance en un Dieu de justice. Il est ce filet de lumière dans les ténèbres, cette aube nouvelle au milieu de la nuit. Le Seigneur est comme une aurore boréale qui, suspendu au-dessus des grands déserts blancs, débarque à l’improviste pour égayer nos nuits.

Ces grands rideaux aux couleurs étincelantes peuvent provoquer à notre esprit un effet intéressant. Oui, il me semble que Dieu à ce quelque chose d’une aurore boréale, non seulement par sa beauté, mais aussi dans sa distance ambiguë avec ceux qui l’a regarde. Si vous avez déjà vu une aurore boréale, je vous mets au défi de trouver où elle se trouve très exactement dans le ciel et de me dire si elle est loin ou proche de ceux qui l’observent.

Il me semble d’ailleurs que l’on peut déjà retrouver une trace de cette ambiguïté dans le premier texte que nous avons lu ce matin…  Revenons pour un instant au Premier Testament. Il est intéressant de lire que, du temps de Moïse, la tente de la rencontre où se manifestait Dieu n’était pas située au milieu du camp, mais légèrement à l’extérieur de ses frontières. Ne trouvez pas étrange, vous aussi, cet emplacement ? Pourriez-vous imaginez un instant que l’église dans laquelle livrons nos prières ce matin puissent être situé en bordure de l’autoroute Robert-Cliche, à la sortie du pont de Québec ? Cette mention de la distance entre le Seigneur et les affaires humaines créer un contraste intéressant qui nous est, dans notre tradition de foi, fort familière. Elle représente, cette distance, la relation d’un Dieu avec son peuple. Son amour à la fois engagé, mais aussi distant. C’est un Dieu qui, sans créer de rupture avec son peuple, invite l’humanité à tracer de rouge la frontière entre son désir et celui de son créateur. Nous sommes ensemble, mais pas les mêmes.

En d’autres termes, Dieu ne saurait se mêler à nos excentricités et nos mauvais choix ; il reste quand même le tout-autre, un peu à part, mais toujours présent. Et cela, j’ose croire que c’est une bonne nouvelle aujourd’hui, car cette ambiguïté de la présence-absence, définissable-insaisissable nous sensibilise à son action mystérieuse dans un monde dont l’état relève avant tout des choix de l’être humain.

Présent… Absent… Mais qu’elle est la relation, dans ce cas, entre Dieu et son peuple ? Comment sa présence peut-elle faire advenir le bien à l’intérieur même du manque ? Alors que les Hébreux erraient dans le désert et que leur survie ne tenait qu’à la grâce d’un Dieu proche-distant, nous avons aussi un autre témoignage de ce genre. Des générations et des générations plus tard, alors que l’eau à coulé sous les ponts, un Nazaréen que vous connaissez bien se situe à mi-chemin dans son ministère…

Tout juste après avoir été bouleversé par le témoignage de la femme syro-phénicienne qui fut, en toute vraisemblance, un tournant pour lui, Jésus se met à prêcher à la foule qui l’a suivi. Or, on ne peut être qu’étonné du lieu dans lequel la scène se déroule. L’évangéliste, que l’on associe volontiers à l’apôtre Marc, nous livre une description épurée de toutes fioritures. Ce que l’on sait de cet endroit est que celui-ci est éloigné des grands centres, éloigné des facilités et des grandes intrigues des puissants. Jésus et la foule sont à l’écart, éloigné… De fait, la seule chose que l’on peut dire avec certitude sur cet endroit est la caractéristique suivante : Jésus, ses disciples et la foule font expérience du manque, de la privation. Ils n’ont pas ou plus le nécessaire. C’est un retour soudain au désert.

Autre remarque… Notez comment Jésus est ému de compassion pour la foule qui n’a rien à manger. Notre frère n’a même pas de quoi nourrir ceux qui le suivent. On pourrait se demander pourquoi sont-ils en manque de vivres ? Ont-ils oublié d’aller à l’épicerie ? À qui la faute, alors ? On pourrait chercher un coupable à la détresse, mais ce serait passer à côté d’une réalité toute simple qui nous touche, nous, mais aussi le monde entier : le manque vient de lui-même, sans raison apparente, comme si ça nous tombait dessus. Une pluie, un tremblement de terre. Nous aussi nous pouvons, en ce moment même, sentir le manque s’enraciner de plus en plus profondément dans nos cœurs. Et je ne parle pas ici de nourriture au sens propre, mais de paix et de justice dont le manque commence à se faire royalement sentir… La « foi » que l’on portait en l’humanité s’évapore comme l’eau laissée au soleil, irradié de nos écrans où défilent l’insupportable.

Que faire… Que croire devant ce monde qui brûle ? Nos œuvres sont impuissantes ; nos bras sont abattus. Vous voyez, cet épisode de la vie de Jésus ne correspond pas à une simple anecdote passée. Il évoque au contraire la finitude de nos vies humaines, la  peine et l’inconstance qui rythment notre existence présente et à venir.

Or, comme tout bon texte biblique, nous pouvons aussi y trouver la présence de la grâce de Dieu. Notre humanité, couchée dans la noirceur d’un mausolée, peut – si elle le désire – percevoir ce filet de lumière qui traverse les fissures du plafond. Même dans le manque, même dans la mort, il reste cette relation entre nous et Dieu. Une relation qui, d’ailleurs, est au centre du passage de l’Évangile d’aujourd’hui.

On pourrait croire que Jésus est la grande vedette de ce souper improvisé, mais j’ose croire qu’il en est peut-être autrement. Alors que la foule éprouve la faim, que Jésus lui-même est impuissant devant ce fait, il rend grâce à Dieu au milieu du désert… Du peu qu’ils possèdent, Jésus rend grâce à Dieu et, plus important encore, il lègue à ses disciples ce même petit peu devenu richesse. Ceux-ci ont ainsi pour devoir de nourrir leurs frères et sœurs. Peut-être avons-nous tort de dire parfois que c’est Jésus qui nourrit la foule. Certes, la multiplication des pains et des poissons est un signe de Dieu, mais elle s’achève avant tout par l’action des disciples ainsi que le rassasiement de la foule.

Comme Moïse qui, par la grâce de Dieu, accompagne le peuple nomade, comme les disciples qui reçoivent pour donner généreusement, ne choisissons pas la désespérance. Alors que nous pouvons éprouver le manque et que nous souffrons de voir l’injustice et le mal qui rôdent dans nos déserts, Jésus et Moïse nous rappellent ici une leçon importante : nous sommes un peuple qui aime, nous sommes des prophètes qui évoquent la présence créatrice d’un Dieu de liberté. Celui-ci a fait en sorte que nous soyons porteurs d’une responsabilité qui nous amène à œuvrer malgré l’apparente impossibilité du changement.

Bien que nous soyons dépassés par les évènements, par les tempêtes laissant derrière elles des dunes sans fin, continuons donc à espérer. Travaillons non pas en prétendant que nous, NOUS pouvons faire la différence par nos œuvres… mais espérons plutôt que nous pouvons faire la différence par la grâce de Dieu qui se situe au-delà de l’impossible.

Continuons à marcher, petit panier de rien du tout en main, au milieu des ténèbres qui consument notre monde. Continuons à distribuer les pains et les poissons que nous avons, à communiquer un Dieu qui, même dans nos manques, nous accueille auprès de lui. Cela dit, je peux vraiment vous l’annoncer : Dieu est bon et nous souhaite, si nous le désirons, un « bon dimanche de la paix ».

Gardons courage. Un jour, bientôt, nous verrons une aurore boréale au-dessus de nos déserts. Ce sera alors le signe de l’œuvre inattendu d’un Dieu qui finira par avoir le dernier mot sur l’impossible.

Amen

LECTURES BIBLIQUES

Exode 33, 7-23

Marc 8, 1-9

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