Il faut bien nous l’avouer : ce qui est « gratis » n’est souvent pas de qualité ou alors c’est quelque chose dont on veut se débarrasser, ou alors c’est un tout petit échantillon juste pour aguicher et susciter un plus grand appétit qui, lui, se satisfera au prix fort.
Où a-t-on vu offrir gratuitement quelque chose de qualité, et en abondance par-dessus le marché?
« Trop beau pour être vrai! » me rétorqueront certains esprits auxquels on ne la fait pas. Y-a-t-il anguille sous roche ou bien… est-ce donc le paradis sur terre, une terre où la crainte (réelle ou artificiellement provoquée) de ne pas avoir assez en sa possession et le désir de sécurité pour le lendemain attisent depuis la nuit des temps la plupart des conflits pour le contrôle du territoire, des ressources vitales et des modes de production?
Le paradis sur terre? Vous ne pensez pas si bien dire! Mais avant d’en venir à ce point bien précis, remettons-nous dans le contexte où l’évangéliste Matthieu situe le récit de ce jour (Matthieu 14.13-24).
« A cette nouvelle », lisons-nous au verset 13, «Jésus se retira de là en barque vers un lieu désert, à l’écart». Cette nouvelle n’était pas une bonne nouvelle. C’était la nouvelle de la décapitation de Jean- Baptiste. Jésus était en deuil et en souci. Il avait besoin d’espace et d’un temps de solitude. Malgré cela, lorsqu’il vit la grande foule des âmes perdues qui erraient à sa recherche, il fut pris d’empathie et de pitié et commença à guérir leurs infirmes et leurs infirmités.
C’est sur ces entrefaites que se déroule le miracle dit de la multiplication des pains.
Par-delà le merveilleux et l’extraordinaire, le miracle véhicule un message, qui ici n’a pas été correctement décodé. Les foules suivent Jésus parce qu’il est capable de guérir leurs infirmes et mettre de la nourriture dans leurs ventres; peut-être ira-t-il jusqu’à prendre leur destinée sociale et politique en charge, en devenant leur roi?
Non! Là n’est pas le sens de la multiplication des pains : il y a maldonne. Jésus reviendra en des termes assez durs sur ce tragique malentendu qui limite la portée de ce qu’il est venu faire. C’est qu’il est venu annoncer l’inauguration d’un temps nouveau, l’irruption du Royaume des Cieux avec une manière toute radicale de voir le monde et ses habitants!
C’est le début de l’accomplissement d’un monde avec des rapports différents, où l’on peut être économe sans devenir avare et généreux sans être gaspilleur.
C’est la vision d’un monde où l’on partage les ressources équitablement, selon les besoins de tout un chacun, sans cette hantise de ne pas avoir assez en sa possession, qui va de paire avec la tendance à acquérir de plus en plus de plus de biens pour assurer le quotidien et garantir un lendemain plus confortable, quite à exploiter les plus faibles et à devenir indifférent au sort des plus démunis.
En fait le miracle des pains indiquait que le paradis était VRAIMENT arrivé sur terre.
C’est le paradis sur terre, ici et maintenant. Dieu a fait sa demeure sur terre et en nous!
C’est le paradis sur terre et Dieu compte sur nous pour montrer et démontrer que rien n’est plus pareil et que l’amour, la vérité et la solidarité triomphent de tout. Une ère nouvelle a été inaugurée.
La promesse de vie et de vie en abondance a commencé à se réaliser et demande, en conséquence, notre adhésion et notre participation active.
Cela demande un autre œil, un autre regard, une nouvelle manière de voir la réalité et des rapports d’un genre nouveau les uns avec les autres. Cette « vision » anticipatoire s’incarne dès à présent dans les comportements qui lui sont cohérents.
Cela demande le regard qui décèle dans la poussière de feu et de sang des bombes et des missiles à Gaza, en Israel/Palestine, le jour pas trop lointain où les enfants de tout pays et de toute couleur joueront ensemble au milieu de cris de joie.
Cela demande un sens olfactif qui, par delà la puanteur des restes humains calcinés en Ukraine et des cadavres en décomposition dans les champs hâtivement creusés en Sierra-Léone, au Libéria et en
Guinée, peut sentir le parfum des fleurs et des arbres fruitiers sans se pincer les narines.
Cela demande des cordes vocales assez puissantes pour percer le mur de la surdité générale, des bras assez humains pour transformer le poing vengeur en main tendue, des pieds assez robustes pour annoncer la Bonne Nouvelle.
Qu’est-ce à dire sinon que le « miracle de la multiplication des pains », qui par lui-même peut être considéré comme une parabole, nous met au défi de nous convertir, de changer de comportement et d’agir dans ce monde à l’instar des citoyens et citoyennes du Royaume des Cieux. C’est une attitude subversive et entièrement dictée par la logique de ce Royaume où il y a surabondance (sans gaspillage) lorsque nous partageons et rendons grâce.
Goutons-y! Nous pourrions peut-être du coup l’aimer : c’est gratis et c’est du super!
Qui a des oreilles pour entendre, entende. Amen!
Samuel Vauvert Dansokho
Eglise Unie de Saint-Pierre et Pinguet
TEXTES BIBLIQUES
Esaïe 55.1-3a
1Ô vous tous et toutes qui êtes assoiffé/es, venez vers les eaux, même vous qui n’avez pas d’argent, venez ! Demandez du grain, et mangez ; venez et buvez ! – sans argent, sans paiement – du vin et du lait. 2A quoi bon dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas, votre labeur pour ce qui ne rassasie pas ? Ecoutez donc, écoutez-moi, et mangez ce qui est bon ; que vous trouviez votre jouissance dans des mets savoureux : 3tendez l’oreille, venez vers moi, écoutez et vous vivrez.
Matthieu 14. 13-21.
13A cette nouvelle, Jésus se retira de là en barque vers un lieu désert, à l’écart. L’ayant appris, les foules le suivirent à pied de leurs diverses villes. 14En débarquant, il vit une grande foule ; il fut pris de pitié pour elle et guérit ses infirmes. 15Le soir venu, les disciples s’approchèrent de lui et lui dirent : « L’endroit est désert et déjà l’heure est tardive ; renvoie donc les foules, qu’elles aillent dans les villages s’acheter des vivres. » 16Mais Jésus leur dit : « Elles n’ont pas besoin d’y aller : donnez-leur vous-mêmes à manger. » 17Alors ils lui disent : «Nous n’avons ici que cinq pains et deux poissons. » – 18« Apportez-les-moi ici », dit-il. 19Et, ayant donné l’ordre aux foules de s’installer sur l’herbe, il prit les cinq pains et les deux poissons et, levant son regard vers le ciel, il prononça la bénédiction ; puis, rompant les pains, il les donna aux disciples, et les disciples aux foules. 20Tout le monde mangea et fut rassasié ; et l’on emporta ce qui restait des morceaux : douze paniers pleins ! 21Or ceux qui avaient mangé étaient environ cinq mille hommes, sans compter les femmes et les enfants.
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